1914 : Au tour de la guerre ?

C’est le 28 juin que l’édition 1914 du Tour de France s’élance de Paris : date symbolique pour qui connait la suite de l’histoire puisque ce jour sont assassinés à Sarajevo l’archiduc François-Ferdinand et son épouse… C’est d’ailleurs cet évènement qui fait la une de L’Ouest-Eclair le lendemain, la Grande boucle demeurant cantonnée à la rubrique La vie sportive et aux pages intérieures. Notons toutefois qu’il y a tout de même là une évolution notable dans le traitement de la course puisqu’en 1903, lors de la première édition, il faut attendre que l’épreuve parte de Nantes pour que le quotidien rennais en parle.

Cette douzième édition du Tour de France se déroule sur un mois, jusqu’au 26 juillet 1914, en 15 étapes totalisant plus de 5 400 kilomètres de course. Celle-ci est d’ailleurs outrageusement dominée par une équipe – les Peugeot-Wolber, du nom d’un fabriquant de cycles et d'automobiles basé à Montbéliard… – qui place huit coureurs dans les dix premiers du classement général dont le belge Philippe Thys, vainqueur. Comme le résume laconiquement L’Ouest-Eclair le 4 juillet 1914, « quoi qu’il arrive, que les routes soient remplies de poussière ou couvertes de boue, Peugeot et Wolber sont toujours au premier rang ».

Peugeot-Wolber: une marque impliquée dès ses débuts dans le sponsoring du sport-cycliste. Carte postale. Collection particulière.

La Bretagne n’est d’ailleurs pas négligée par cette édition du Tour de France. Brest est ville-étape entre deux journées où les forçats de la route doivent à chaque fois parcourir plus de 400 kilomètres. Le peloton doit en effet rallier le 3 juillet 1914 Cherbourg à Brest puis, le surlendemain, Brest à La Rochelle ! Et parmi les coureurs, on repère notamment le vainqueur des éditions 1907 et 1908 : Lucien Mazan dit Petit-Breton, originaire de Plessé en Loire-inférieure et qui sera bientôt, dans quelques semaines seulement, appelé à jouer un rôle importat dans la bataille de la Marne.

Le grand vainqueur de l'édition 1914 du Tour de France: le belge Philippe Thys. Carte postale (détail), collection particulière.

Dans ces conditions, on comprend sans doute encore un peu mieux la popularité de l’épreuve dans la région. Certes, la compétition en elle-même force le respect lorsqu’on connait l’état des routes de l’époque et la qualité des machines à disposition des athlètes. Mais si en plus la course emprunte les routes bretonnes… alors le succès est garanti ! Et c’est ainsi avec une certaine curiosité que l’on observe qu’à Lorient, ce sont des éléments du 62e régiment d’infanterie et du 1er régiment d’infanterie coloniale qui sont chargés de faire le service d’ordre pour le peloton !

Pour autant, alors qu’aujourd’hui, un siècle après les faits, il est bien difficile de ne pas se retourner sur ce mois de juillet 1914 sans avoir en tête la marche effrénée des somnambules vers la guerre, pour faire allusion au remarquable ouvrage de Christopher Clark, il est bien difficile de trouver des éléments qui puisse faire penser à une quelconque tension dans les pages de L’Ouest-Eclair.

L’édition du 21 juillet est à cet égard particulièrement éclairante puisque c’est l’affaire Caillaux qui, en réalité, focalise les esprits. Et même lorsque le Tour de France s’arrête à Belfort, lieu particulièrement emblématique renvoyant à la mémoire de la guerre de 1870 et aux provinces perdues, on ne décèle pas d’allusion particulière à une éventuelle tension franco-allemande, y compris lorsque le peloton sillonne les routes du Ballon d’Alsace !

Le Président de la République est alors en Russie et chacun, sur les routes du Tour comme ailleurs, pense encore au bel été qui se profile. C’est en réalité quelques heures seulement après l’arrivée de cette douzième édition que les évènements s’emballent : Vienne, fort du soutien de Berlin, déclare la guerre à la Serbie, décision qui entraîne la mobilisation générale russe… véritable étincelle transformant un conflit localisé en guerre européenne et mondiale.

Erwan LE GALL