Célébrer la Vierge le 15 août 1915

Si le 14 juillet 1915 n’est pas célébré avec le faste que l’on pourrait de prime abord imaginer, tant dans les tranchées que dans les communes de l’arrière, c’est en partie parce qu’il n’est pas toujours aisé de rompre avec les pratiques antérieures relevant d'une certaine suspicion envers la République. Mais dès lors, qu’en est-il du 15 août 1915, cette célébration de la Vierge très prisée en Bretagne ?

Autel dressé pour la célébration de la messe, août 1915. BDIC: VAL 306/031.

Là encore, la réponse n’est pas aisée. Pour les poilus terrés dans les tranchées, force est de constater que la réalité militaire n’aide pas l’historien. Non pas que la pratique religieuse y est combattue. Au contraire, les autorités paraissent y avoir décelé très rapidement un élément moteur du moral d’un certain nombre de combattants, tout du moins ceux qui croient en Dieu. Ainsi, au 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo, pourtant marqué moins de dix ans plutôt par une grave affaire religieuse ayant conduit trois officiers en Conseil de guerre, de nombreuses archives attestent la pratique du culte catholique : les poilus se confessent la veille d’un assaut, les aumôniers écrivent aux familles des blessés, tués ou disparus, et l’on sait dès l’hiver 1915 les messes célébrées en plein air tous les dimanches au cantonnement. Mais malheureusement, les archives ne nous disent rien du 15 août 1915 puisqu’à l’instar du 10e corps, le 47e RI vient d’arriver en Champagne après un mois de repos et que les permissions tournent alors à plein. Et pour être honnête, la situation au 11e corps d’armée n’est pas plus limpide. Mobilisé au 65e régiment d’infanterie de Nantes, Joseph Richard ne nous dit rien dans sa correspondance des éventuelles messes qui auraient pu être célébrées à cette occasion. Tout juste sait-on que le 15 août n’est sans doute pas un jour comme les autres puisqu’il adresse à cette occasion ses « bons et affectueux vœux de fête » à la famille de la jeune fille qu’il courtise1.

En réalité, seuls les témoignages émanant de combattants à la foi particulièrement affirmée, démonstrative, font très manifestement état d’un pratique religieuse particulière en cette journée du 15 août 1915. Tel est ainsi le cas de Joseph Le Segrétain du Patis qui « ce matin [va] fêter à l’église la Sainte-Vierge » et bien entendu de Loeiz Herrieu qui explique que pour l’occasion est bâtie « en plein champs, une petite chapelle de branchages » dans laquelle est célébrée la messe2. Mais on ne retrouve dans les carnets de Paul Cocho, un territorial briochin dont les traces de religiosité sont au fur et à mesure de la guerre beaucoup plus discrètes, aucune allusion au 15 août 1915 alors que le 14 juillet bénéficie d’un traitement particulier : il est vrai que séparation des églises et de l’Etat oblige, les deux dates ne sont pas égales du point de vue de l’amélioration de l’ordinaire3.

A l’arrière, la situation ne semble pas plus simple à décrire mais on sait que la mobilisation des ecclésiastiques n’est pas sans perturber le fonctionnement des paroisses. Ainsi, à Rennes, L’Ouest-Eclair n’accorde que quelques lignes à la « procession du 15 août » qui, si elle se déroule devant une « foule considérable » n’en est pas moins perturbée par une « forte ondée »4. A Lorient, Le Nouvelliste du Morbihan n’est pas plus prolixe et ne consacre que quelques lignes à « la fête de l’Assomption à la cathédrale »5. De même, dans les Côtes-du-Nord, le Moniteur ne consacre que quelques lignes à la messe célébrée le 15 août 1915 à Guingamp. Tout juste sait-on que la foule s’y est visiblement rendue en masse « y prier pour les leurs et demander à Dieu le retour des absents et le succès de nos armes »6.

La messe dans une cagna, en octobre 1915. BDIC: VAL 223/042.

En réalité, 14 juillet et 15 août 1915 semblent composer les deux revers d’une même médaille de la continuité des pratiques et seuls ceux qui ont l’habitude de s’adonner au culte de la Vierge signalent dans leurs écrits cette date particulière. Certes, face à l’inquiétude et aux dangers encourus, on aurait sans doute pu croire à une recrudescence du sentiment religieux, comme certaines archives le mentionnent à propos de l’été 1914. Mais en ce 15 août 1915, il n’en est visiblement rien. Or cette désertification des offices n’est pas une nouveauté. Déjà, à propos du 15 août 1913, le pourtant très catholique L’Ouest-Eclair notait, acerbe : « La Mi-Août a été extraordinairement bien fêtée cette année par les Rennais. Il n’y avait personne dans les rues, tout le monde ayant profité du pont pour s’en aller ailleurs. »

Erwan LE GALL

 

1 GAUTHIER, Jean-Alain, Au-delà des lignes 14-18, Autoédition, 2014, p. 73.

2 LE SEGRETAIN DU PATIS, Ecrire la guerre. Les carnets d’un poilu, 1914-1919, Paris, LBM, 2014, p. 131 et HERRIEU, Loeiz (traduit du breton et édité par CARRE, Daniel), Le Tournant de la mort, Rennes, TIR, 2014, p. 120.

3 COHO, Paul, Mes carnets de guerre et de prisonnier, 1914-1919, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 56-58.

4 « La procession du 15 août », L’Ouest-Eclair, n°5874, 16 août 1915, p. 3.

5 « La fête de l’Assomption à la cathédrale », Le Nouvelliste du Morbihan, 28e année, n°194, 17 août 1915, p. 3

6 « Nouvelles religieuses », Le Moniteur des Côtes-du-Nord, 45e année, n°34, 21 août 1915, p. 3.