G. Avril de Sainte-Croix et Saint-Nazaire : la barbarie boche plutôt que la prostitution ?

G. Avril de Sainte-Croix est un personnage aussi fantasque que fondamental pour qui s’intéresse au mouvement féministe, figure emblématique de la IIIe République mais aujourd’hui complètement oubliée1. Née en 1855 en Suisse, près de Genève, mais passant l’essentiel de sa mondaine vie à Paris, cette présidente du Conseil national des Femmes française n’a selon toute vraisemblance jamais mis les pieds en Bretagne, encore moins dans l’estuaire de la Loire. Pourtant, cela ne l’empêche pas de mener en septembre 1917 une charge particulièrement virulente contre la prostitution qui, selon ses dires, sévit à Saint-Nazaire à la faveur de la présence américaine.

Soldat américain à Saint-Nazaire, probablement au camp n°7 dit Motor Reception Park. Collection particulière.

Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, il faut dire quelques mots du curieux patronyme de cette insatiable abolitionniste. Celle qui est connue à l’état civil comme étant Eugénie Avril porte en effet  le pseudonyme de G. Avril de Sainte-Croix. Malheureusement, on ne sait si ce G. est adopté comme étant l’abréviation de Ghénia, le diminutif de son véritable prénom, ou de Glaisette, son nom de jeune fille. Curieuse donc coquetterie pour cette femme de lettres, dreyfusarde convaincue qui revendique dès 1896 le qualificatif de féministe, et voue une partie de son existence au combat contre la prostitution.

C’est d’ailleurs « le plus vieux métier du monde » qui l’amène à s’intéresser à Saint-Nazaire. Avec le débarquement des Américains, soldats entourés d’une réputation certaine d’aisance financière, toute une population interlope accoure dans le port ligérien et se greffe autour des différents camps qu’utilisent les Doughboys : commerçants ambulants, mais aussi mendiants et donc prostituées, accompagnées le plus souvent de leurs inévitables souteneurs2. La chose est connue et le célèbre graveur Jean-Emile Laboureur n’a pas manqué d’immortaliser de son fusain les fréquentations tarifées de ces Sammies.

Certes, les Doughboys n’ont théoriquement pas accès à ces maisons closes que les autorités françaises laissent ouvertes, considérant cette institution comme le meilleur moyen d’assurer la prophylaxie des maladies vénériennes en contrôlant à intervalles réguliers l’état de santé des filles. Mais la réalité est bien entendu toute autre, ce dont s’émeut naturellement G. Avril de Sainte-Croix dans une lettre adressée directement au Ministre de l’Intérieur le 12 septembre 1917 et dans laquelle elle affirme que les « Américains sont assaillis par des bandes de filles dont aucun agent n’a mission de réprimer l’impudence ».

Maison close. Carte postale. Collection particulière.

Bien entendu, un tel courrier ne peut rester sans réponse et sollicité par, le gouvernement, le sous-préfet de Saint-Nazaire s’empresse d’affirmer que les propos de la célèbre abolitionniste relèvent « de la  littérature n’ayant jamais correspondu, même à la loupe, à la réalité ». Mais là n’est au final sans doute pas le plus intéressant. Sûre d’elle-même, de ses réseaux et de son poids politique, G. Avril de Sainte-Croix, dans le courrier qu’elle adresse au ministre de l’Intérieur, n’hésite pas à se faire menaçante pour appuyer son combat en faveur de la fermeture des maisons closes :

« Dès le début des hostilités, je me suis efforcée de gagner à la cause des Alliés les sympathies des milliers de femmes américaines affiliées à notre Conseil International. C’est avec joie qu’elles nous ont donné leurs fils. Il ne faut pas qu’elles puissent regretter de les avoir envoyés en France. Cela serait d’autant plus désastreux que nos ennemis en profiteraient pour créer en Amérique où l’opinion féminine à une si grande importance, un mouvement anti-français. »

Bref, pour G. Avril de Sainte-Croix, mieux vaut la barbarie boche que celle de la prostitution. Un discours qui, alors que la France et les Etats-Unis sont engagés dans une guerre « pour le droit et la civilisation », ne manque pas d’interpeller.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 Pour de plus amples développements se rapporter à OFFEN, Karen (traduit par BUHAT, Michèle), « La Plus grande féministe de France. Mais qui est donc bien Madame Avril de Sainte-Croix ? », Bulletin Archives du féminisme, n°9, décembre 2005.

2 Pour de plus amples développements se rapporter à LE GALL, Erwan, Saint-Nazaire, les Américains et la guerre totale (1917-1919), Bruz, Editions CODEX, 2018, p. 202 et suivantes.