Le général Sibert : un commandant par défaut ?

Le débarquement des premiers contingents américains à Saint-Nazaire, le 26 juin 1917, est affaire de paradoxes. En effet, ces hommes arrivent en plein secret puis bénéficient d’une très large médiatisation, de manière à rassurer les populations civiles françaises et américaines tout en tentant d’intimider les Allemands. Mais cette opération de communication a tout du bluff puisque que les doughboys de la 1e division américaine d’infanterie, la fameuse Big Red One, sont en réalité très loin d’être opérationnels, à l’image de celui qui les commande, le général William L. Sibert.

Carte postale. Collection particulière.

Rares sont en effet les officiers qui illustrent mieux l’impréparation à la guerre moderne du corps expéditionnaire américain lorsqu’il débarque en France à l’été 1917. William L. Sibert naît le 12 octobre 1860 en Alabama. Choisissant tôt le métier des armes, sans doute sous l’influence de son père, vétéran de l’armée confédérée, il intègre la prestigieuse académie militaire de West Point, dont il sort diplômé en 1884, puis effectue toute sa carrière dans le génie : il pose ainsi des rails aux Philippines pendant la guerre qu’y mènent, de 1899 à 1902, les Etats-Unis. C’est là d’ailleurs un parallèle intéressant avec le futur maréchal Joffre : tous deux comprennent parfaitement l’importance des transports, de la logistique, et plus encore du chemin de fer dans la guerre moderne.

A partir de 1907, William L. Sibert est envoyé au Panama où il prend une part déterminante dans la réalisation du canal. On se souvient en effet que la construction de ce gigantesque, et éminemment stratégique, ouvrage d’art souffre au cours des années 1890 de grands scandales politico-financiers qui freinent l’avancée des travaux et, au final, ouvrent une porte grande ouverte aux Etats-Unis. Sibert s’y engouffre bien volontiers et mène à bien la tâche qui lui est confiée. En récompense de ses bons services, il est élevé au généralat, mais dans le corps de l’infanterie. En effet, il est de tradition aux Etats-Unis que l’arme du génie ne dispose que d’un général. Or ce grade étant déjà pourvu, Sibert est promu dans l’infanterie, une arme dans laquelle il n’a jamais servie !

Bien entendu, une telle promotion pourrait demeurer anecdotique et pourrait illustrer les mille et une manières de contourner les usages du tableau d’avancement. Ce serait néanmoins sans compter la rigidité administrative qui caractérise aussi les armées. On a en effet trop souvent tendance à l’oublier mais sil ’agit également de gigantesques structures bureaucratiques, avec toutes les absurdités que cela peut comporter. Ainsi, même s’il ne dispose d’aucune expérience dans l’infanterie, William L. Sibert est bien susceptible, du fait de son généralat, d’être appelé au commandement d’une division en cas de conflit. Et c’est précisément de qui se passe lorsque les Etats-Unis entrent finalement en guerre, en avril 1917.

Carte postale. Collection particulière.

Cette promotion, quoique distinguant des mérites évidents, dit au final bien la nature des forces armées américaines au moment où elles arrivent en France. En effet, il n’est pas certain qu’elles puissent dans l’immédiat répondre aux immenses attentes placées en elles. Le général William L. Sibert en est une parfaite illustration : bien que n’ayant jamais servi dans l’infanterie, et n’ayant donc aucune expérience du combat sur terre, et encore moins de la guerre moderne telle qu’elle se déroule en Europe depuis l’été 1914, il est nommé à la tête de la 1e DIUS, celle dont les premiers éléments débarquent à Saint-Nazaire le 26 juin 1917. Le général Pershing n’est d’ailleurs visiblement pas dupe de la situation. En effet, le général Sibert sera bientôt relevé de son commandement, précisément au moment où la 1e DIUS s’apprête à entrer en ligne1.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 CLARK, Edward B., William L. Sibert, The Army Engineer, Philadelphia, Dorrance & Company, 1930.