La laïcité à l’épreuve de la Drôle de guerre

Depuis la fin du XIXe siècle, la France connaît de graves tensions internes provoquées par les lois imposant la laïcité. L’exemple des rivalités scolaires en est un parfait exemple. On peut ainsi encore s’étonner, de nos jours, de l’absence voire de la faible représentation des écoles publiques dans certaines communes de Bretagne. Comme le démontre parfaitement l’étude de Missillac en Loire-Inférieure, la pression menée par la famille de Montaigu a permis de limiter l’essor des établissements privés dans leur « fief » au moins jusqu’à la fin des années 19501.

Carte postale. Collection particulière.

La guerre, malgré l’union patriotique qu’elle doit imposer, est un parfait révélateur de ces tensions. En avril 1940, le Comité d’Action et de Défense laïque du Morbihan interpelle sur les dangers provoqués par l’état de guerre. Cette institution édite depuis 1936 L’Action laïque dont le but avoué est de « se défendre contre les calomnies d’une église particulièrement combative et intolérante dans ce département »2. Pourtant en septembre 1939, la publication est brusquement interrompue du fait de la mobilisation de nombreux cadres du Comité. Cette absence est, selon le président Jean Baco, préjudiciable puisqu’elle laisse le champ libre à ses opposants. Ces derniers – parce qu’ils sont bien souvent considérés comme étant des planqués –  ont tout de loisir de profiter de la « période troublée que traverse le pays pour intensifier leurs attaques contre les écoles [publiques] et leur maîtres »3. Jean Baco justifie cette accusation en citant un article publié dans L’Idéal par l’un de ses opposants :

« Le point noir le plus effrayant de notre horizon ? Est-ce la guerre qui peut éclater d’un jour à l’autre, plus terrible que celle de 1914 ? » […] ce n’est pas seulement l’irreligion (sic) qu’on enseigne dans de nombreuses écoles : ce sont les théories conduisant tout droit à l’immoralité la plus effrénée. Que peuvent devenir les enfants à pareil écoles ? Fatalement des bandits, des voleurs et des assassins. »

Pour pouvoir répondre à la critique, le Comité décide de relancer une publication réduite de son journal en avril 1940. L’objectif est alors clairement annoncé en première page : « Soyons vigilants ». Pour Jean Baco, il faut éviter de reproduire les erreurs du passé « comme pendant la grande tourmente 1914-1918, les adversaires de la laïcité remuant ciel et terre pour tâcher de reprendre le terrain perdu par eux […] Nous entendons ne pas être dupes de ceux pour qui la guerre actuelle est un moyen de parvenir à des fins politique »4. L’expérience de la Grande Guerre conduit en effet les ardents défenseurs de la laïcité à redoubler leurs efforts.

Et pour cause, l’Union sacrée est à bien des égards une union de façade. Les conflits, plus silencieux, existent bel et bien. Là encore, pour s’en apercevoir, le prisme de l’école nous est précieux. Dans le Morbihan, l’inspecteur d’académie tente d’expliquer, fin 1917, la baisse des effectifs des écoles publiques au détriment des écoles libres par les manipulations des élites locales. Ainsi, à Caro une mère de famille « prétend qu’on ne lui aurait plus donné de travail si les enfants étaient allés à l’école publique »5. Dans d’autres communes, le chantage est exercé par le versement d’allocations diverses. Les pressions sont également morales. La diminution du nombre d’enseignants mobilisés et la réquisition d’établissements pour accueillir des hôpitaux temporaires accélèrent la mise en place de classes mixtes dans certaines communes. Cette situation est intolérable pour de nombreux curés qui le font ouvertement savoir aux parents. Ainsi, une institutrice d’Ambon accuse, dès 1915, le prêtre d’être responsable du retrait d’une jeune fille de l’école publique par son père « parce que sa conscience lui défendait de la laisser en contact avec les garçons »6.

L'église d'Ambon dans le Morbihan à la fin des années 1930. Carte postale . Collection particulière.

Ces sources ne sont pas totalement objectives. Néanmoins, elles témoignent d’une adaptation des luttes sur la question de la laïcité. En avril 1940, lorsque Jean Baco décide de relancer son journal, il est loin de s’imaginer la proximité de la défaite. Au contraire, la perspective d’une guerre longue et le souvenir du conflit précédent l’incitent à prendre les devants pour continuer la « Défense de la laïcité ». Trois mois plus tard, l’arrivée de Philippe Pétain au pouvoir redistribue les cartes du combat. L’Action Laïque est désormais hors-jeu. L’édition du mois d’avril 1940 était donc la dernière.

Yves-Marie EVANNO

 

1 GERAUD, Marie, « La difficile application des lois Ferry dans une commune où s'exerce encore le pouvoir aristocratique : l'exemple de Missillac (1880-1914) », En Envor, Revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°5, hiver 2015.

2 « A nos lecteurs », L’Action laïque, avril 1936, n°1, p. 1.

3 BACO, Jean, « A tous nos amis, à tous les laïcs du Morbihan », L’Action laïque, avril-mai 1940, n°29, p. 1.

4 BACO, Jean, « Soyons vigilants », L’Action laïque, avril-mai 1940, n°29, p.1.

5 Arch. Dép. du Morbihan: T 1100, rapport de l’inspecteur d’académie au ministre de l’Instruction publique, 22 décembre 1917. Sur ce point, on se permettra de renvoyer à Ouvrage collectif, Les Morbihannais dans la guerre 14-18, Vannes, Archives départementales du Morbihan, 2014, p. 110-117.

6 Arch. Dép. du Morbihan: M 1722, l’institutrice de l’école publique d’Ambon à l’inspecteur primaire d’académie, 18 mars 1915.