Pour une histoire des aviateurs du Commonwealth abattus dans le Morbihan (1940-1945)

Durant la Seconde Guerre mondiale, la Bretagne est la cible d'intenses bombardements. Si les premiers raids sont menés par les Allemands au printemps 1940, l'Occupation inverse le rapport de force. Très vite, l'armée britannique mène des opérations contre de nombreux sites stratégiques. Le 27 septembre 1940, les premières bombes tombent ainsi sur Lorient. Les raids sont particulièrement meurtriers pour les populations, ce que ne manquent pas de souligner, à leur manière, les propagandes nazie et vichyste. De leur côté, les aviateurs ne sont pas épargnés. Qu’ils soient victimes des tirs de DCA, de chasseurs ennemis ou de pannes, peu s'en sortent.

Bombardier britannique Avro Lancaster. Carte postale. Collection particuière.

Ainsi, près de 200 sujets britanniques sont enterrés dans le Morbihan1. Dans une rigoureuse étude publiée en 2011, Jean-Yves Le Lan identifie très précisément 198 tombes, tout en précisant que ces chiffres ne correspondent pas à la réalité des pertes, les disparus n’ayant pas de sépultures2. De même, c’est sans surprise que l’on constate que les deux-tiers des tombes (soit 168) se situent dans la seule région lorientaise (Lorient, Lanester, Gâvres et Guidel), puisque les opérations dans ce département sont principalement menées contre la base sous-marine3.

Lorsque leurs corps sont retrouvés, les autorités occupantes et les populations leur réservent malgré tout un enterrement décent. Le Nouvelliste du Morbihan relate l'une de ces cérémonies en décembre 1940. Quatre aviateurs britanniques sont inhumés dans un cimetière de Lanester en présence d'une importante foule, du maire de la ville ainsi que de soldats allemands qui accordent aux défunts les honneurs militaires :

« De nombreux soldats avaient tenus à se joindre à ces personnalités pour s’associer à cet ultime geste de respect envers la mémoire de soldats morts pour leur pays. […] En des termes émouvants [l’officier allemand] salua les aviateurs anglais tombés dans l’accomplissement de leur devoir de soldat. Puis, conformément à l’usage de l’armée allemande, une triple salve fut tirée sur les bords de la fosse où reposent maintenant les aviateurs britanniques. »4

Carte et itre de du Nouvelliste du Morbihan. Collection particulière / Archives départementales du Morbihan.

Si le propos est ici très certainement empreint de propagande, de tels honneurs à l'égard de l’ennemi ne sont pas surprenants, notamment de la part de la population civile. Comme l'a démontré Claire Andrieu à propos des aides apportées aux aviateurs qui survivent à la perte de leur appareil, l'intensification des bombardements n'est pas corrélatif au rejet de l'opinion publique. Au contraire, la population – dans son ensemble, mais des exceptions peuvent exister – semble continuer de soutenir les raids aériens. Une telle affirmation mériterait d'être confirmée par des études locales afin de montrer qu'il y a bien là une limite à « la problématique de la brutalisation qui suppose que la brutalité répond à la brutalité de manière assez mécanique »5.

Yves-Marie EVANNO

 

1 A de rares exceptions – quelques marins –  il s'agit d'aviateurs tombés à la suite d’opération de reconnaissance ou de parachutage.

2 LE LAN, Jean-Yves, Cimetières militaires du Commonwealth du Morbihan », Bulletins et mémoires de la société polymathique du Morbihan, 2011, p.199-219.

3 De manière plus générale, c'est bien le littoral qui semble le rempart le plus efficace pour les Allemands. Ainsi 28 autres tombes sont signalées dans neuf cimetières à proximité de la mer (Vannes, Plougoumelen, Quiberon, Sarzeau, La Trinité-sur-Mer, l’Ile-aux-Moines, Penestin et Le Palais). Malgré les passages des forteresses volantes au-dessus des territoires de l'intérieur du département, il n'y que deux tombes à Reguiny et à Guiscriff. Et encore, ces avions ont été abattus  lors de l’été 1944.

4 « Les obsèques des membres de l’équipage du bombardier anglais abattu vendredi matin ont eu lieu dimanche à Lanester », Le Nouvelliste du Morbihan, 25 décembre 1940, p.2.

5 ANDRIEU, Claire, « Les comportements des civils face aux aviateurs tombés en France, en Angleterre et en Allemagne (1940-1945) », in LABORIE, Pierre, et MARCOT, François (dir.), Les comportements collectifs en France et dans l’Europe allemande. Historiographie, normes, prismes (1940-1945), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015.