Quand la pénurie de papier joue en la faveur du docteur Petiot

L’affaire Marcel Petiot est très certainement l’une des plus grandes histoires criminelles du XXe siècle. Entre 1944 et 1946, elle se déroule dans un contexte difficile du fait des combats pour la libération du territoire, de l’épuration ou encore des différentes pénuries. Habile, le sinistre médecin a bien failli profiter de cette situation complexe pour échapper à la justice.

La fameuse cave du docteur Petiot, photographie de presse. Collection particulière.

Très vite, le feuilleton Petiot occupe une place importante dans les médias, et la Bretagne ne fait pas exception. Alors que la presse locale tire à deux, voix quatre pages maximum, et malgré la richesse de l’actualité, elle n’hésite pas à multiplier les articles concernant les avancées de l’enquête. Tout commence le 11 mars 1944 lorsque les pompiers découvrent, dans un appartement parisien, « les restes calcinés d’une trentaine de femmes ». Le Nouvelliste de Vannes affirme dès le 19 mars que la culpabilité du « Dr Petiot […] est d’ores et déjà établie ». Elle le compare à Henri Désiré Landru, le tueur en série exécuté en 1922 après avoir profité de la vulnérabilité de nombreuses femmes durant la Grande Guerre. Mais impossible de mettre la main sur l’assassin présumé. Ce dernier profite de l’agitation du printemps 1944 pour se fondre dans la Résistance.

Arrêté le 31 octobre 1944, le procès de Marcel Petiot s’ouvre à Paris en mars 1946, deux ans après la découverte macabre de la rue Le Sueur. La ferveur médiatique ne s’est pas estompée, bien au contraire. Chaque jour, La Liberté du Morbihan publie un compte-rendu détaillé des séances. Ainsi, entre le 17 mars et le 6 avril, seule l’édition du 1er avril ne consacre pas un article à « l’affaire la plus affreuse que les annales judiciaires aient connues depuis Landru ». (18 mars 1946, p. 1). Il faut dire que l’accusé sait se mettre en scène et transforme son procès en véritable spectacle : s’improvisant à la fois Résistant, patriote, ou encore génie… Mais à aucun moment La Liberté du Morbihan ne tombe dans le piège de « l’horrible » médecin qui n’hésite pas à esquisser, comme par provocation, « un léger sourire amusé et presque flatté » lorsqu’on le compare à Landru (28 mars 1946, p. 1). Sans surprise, Marcel Petiot est condamné à mort le 4 avril.

Si la pénurie de papier ne gêne pas l’impressionnante diffusion médiatique, elle perturbe en revanche l’instruction. Ainsi, c’est avec stupeur que, le 12 mai, La Liberté du Morbihan évoque un vice de procédure qui pourrait casser le verdict rendu un mois plus tôt :

« Aussi énorme que cela puisse paraître, il n’est absolument pas exclu que le verdict soit cassé. Pourquoi ? Parce que le papier manque en France et que le ministère de la Justice n’a pas pris soin d’imprimer de nouveaux formulaires de verdict pour ses cours d’assises. Au terme de la délibération du dernier jour du procès, le président Lesser n’a pas pris garde qu’il remplissait un imprimé caduc […]. Il inscrivit ‘‘non’’ en face du paragraphe ‘‘on ne doit faire mention des circonstances atténuantes que si une majorité s’est formée ; la majorité se forme à sept voix’’ Cet infime détail ne passa pas inaperçu de l’astucieux Me Floriot […] la majorité est de six voix dans les jurys actuels de dix membres et rien ne prouve, pièces en main, qu’elle ne fut pas atteinte dans le vote secret. »

Marcel Petiot lors de son procès. The Horror Channel.

Peu connu, cet élément met parfaitement en avant les difficultés rencontrées par l’administration d’après-guerre qui, comme le reste de la population, est soumise aux restrictions et aux pénuries. Quand à Marcel Petiot, il n’échappe pas à la sanction et est exécuté le 25 mai 1946.

Yves-Marie EVANNO