Vichy et la corruption. Attaquer pour mieux dissimuler le bilan ?

On sait les circonstances exceptionnelles qui conduisent le maréchal Pétain au pouvoir en France : une défaite aussi soudaine que brutale. Pour autant, Vichy et la Révolution nationale ne sont pas des créations ex-nihilo mais prennent au contraire leur source dans les mouvements profondément réactionnaires qui, tout au long des années 1920 et 1930, ne cessent de fustiger le parlementarisme et y associent une corruption galopante. Les émeutes du 6 février 1934, dont les répercussions sont réelles en Bretagne, constituent à cet égard un évènement important. De même, on sait que la question « morale » est au cœur de bien des professions de foi des candidats aux élections législatives de 1936, la probité et le sens du devoir s’exprimant alors par l’exhibition de mois passés aux tranchées et de décorations courageusement glanées1.

Carte postale. Collection particulière.

Il n’est donc pas étonnant de voir le régime de Vichy s’attaquer de front à la question de la corruption. On connaît notamment la célèbre affiche vantant les bienfaits de la Révolution nationale et associant aux pots de vins  le radicalisme et le communisme mais également le parlementarisme, la démocratie, la franc-maçonnerie et, bien entendu, les Juifs. De même, il n’y a rien de surprenant à ce que le célèbre quotidien breton L’Ouest-Eclair, résolument engagé sur le chemin de la collaboration, relaie en première page, dans son édition du 2 avril 1943, les initiatives du gouvernement en la matière. C’est ainsi que le quotidien breton annonce à ses lecteurs que « des peines aggravées réprimeront les délits de corruption » et viseront également « ceux qui ferment les yeux »2.

Il est vrai que pour Vichy, un sujet tel que celui-ci ressemble à du pain béni. En effet, qui, par définition, peut ostensiblement se déclarer en faveur de la corruption ? Trois ans après la débâcle de mai-juin 1940, une thématique telle que celle-ci permet de surcroît de créer un peu de consensus au sein d’une opinion publique qui ne peut que constater l’impuissance de Vichy – les Allemands franchissent la ligne de démarcation le 11 novembre 1942 – et tendent à s’éloigner de plus en plus sûrement de la figure tutélaire du Maréchal. Du point de vue de la mise en œuvre de la propagande, pour ne pas employer le terme anachronique de communication politique, la stratégie est donc assez habile.

Pour autant, entre l’intention et la pratique, il y a bien souvent un gouffre. En effet, à l’instar d’ailleurs de ce que montre F. Loko à propos du département de l’Ille-et-Vilaine3, la mise en musique de cette ritournelle peine à éviter les fausses notes, ce dont rend d’ailleurs pleinement compte l’article publié par L’Ouest-Eclair le 2 avril 1943. A première vue, la loi éditée le matin même au Journal officiel parait des plus neutres – et pour tout dire séduisante – puisqu’elle promet de s’attaquer « à tout arbitre ou expert qui aura, soit sollicité des offres ou promesses, soit reçu des dons ou présents pour rendre une décision ou donner une opinion favorable à l’une des parties ».

Les exemptions physiques pour le STO. Crédit: prisonniers-de-guerre.fr

Mais, loin d’un idéal abstrait de justice, ce texte réglementaire répond au contraire à des impératifs conjoncturels très précis qui, au final, disent la faiblesse et la fragilité de Vichy. Tel est ainsi le cas de « l’article qui vise spécialement les personnes qui se livrent au marché noir », manière pour le régime d’avouer son impuissance à assurer le ravitaillement en nourriture des populations civiles. Plus significatif encore, L’Ouest-Eclair rappelle que ces mesures ciblent également « tout médecin qui, dans l’exercice de ses fonctions et pour favoriser quelqu’un, certifie faussement ou dissimule l’existence de maladies ou d’infirmités ». Or de telles dispositions ne peuvent pas ne pas faire écho aux lois du 4 septembre 1942, et plus encore du 16 février 1943, texte instaurant le Service du travail obligatoire au profit de l’Allemagne. A Saint-Brieuc, le docteur Erling Hansen est ainsi arrêté en novembre 1943 puis déporté dans un camp de la mort nazi pour avoir fourni des certificats de complaisance à de jeunes hommes pour que ceux-ci se soustraient au STO. On voit donc que pour Vichy la lutte contre la corruption relève au final de l’écran de fumée destiné à masquer un constat d’impuissance, et tenter de séduire une opinion publique de plus en plus distante.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 Sur cette question on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « Unis comme au front (populaire) ? Les anciens combattants d’Ille-et-Vilaine et le scrutin du printemps 1936 », in LE GALL, Erwan et PRIGENT, François, C’était 1936, Le Front populaire vu de Bretagne, Rennes, Editions Goater, 2016, p. 256-285.

2 L’Ouest-Eclair, 44e année, n°16 816, 2 avril 1943.

3 LOKO, Fabiola, « Mise en œuvre et limite de la propagande du régime de Vichy en Ille-et-Vilaine (10 juillet 1940 – 5 juillet 1944), En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°3, hiver 2014, en ligne.