Vichy et la révision des programmes d’histoire

La critique des programmes scolaires semble être une constante de la période contemporaine et, parmi toutes les disciplines, c’est bien l’histoire qui concentre l’essentiel des velléités réformatrices. Que l’on songe ne serait-ce que quelques instants aux ministres, qu’ils soient de l’Instruction publique ou de l’Education nationale, qui n’aient pas porté le moindre projet visant à remanier les les contenus enseignés à nos chères têtes blondes… C’est d’ailleurs tout le paradoxe de cet article publié dans l’édition du 11 septembre 1940 de L’Ouest-Eclair que de replacer Vichy dans une certaine normalité des pratiques alors que ce régime est, par nature, tout sauf ordinaire .

A l'école de Plougrescant, Côtes-du-Nord, 1940. Collection particulière.

Tant les circonstances qui conduisent le maréchal Pétain au pouvoir suite à l’effondrement militaire de l’été 1940 que la dimension idéologique de la Révolution nationale disent le caractère exceptionnel – au sens où il se démarque des autres formes de régime que connait le pays – de l’Etat français. Pourtant, l’entretien qu’accorde Serge Jeanneret à Olivier Guyon et que publie L’Ouest-Eclair est à cet égard révélateur d’une époque : instituteur, il est aussi un membre influent de l’Action française et deviendra même, en 1942, directeur de cabinet du zélé ministre de l’Education nationale Abel Bonnard. En lui accordant une telle place, le quotidien breton fait non seulement allégeance au maréchal Pétain mais tourne encore un peu plus le dos à sa tradition républicaine2.

Serge Jeanneret n’est en effet pas le premier venu. Il est le fondateur de l’Union corporative des instituteurs, sorte de syndicat enseignant qui, justement, se donne pour mission de lutter contre « la propagande antipatriotique » véhiculée par les autres organisations de professeurs, à commencer par la CGT. Le ton est donc rapidement donné et la « divine surprise », pour reprendre la fameuse formule de Charles Maurras, que constitue l’accession au pouvoir du Maréchal Pétain coïncide avec un gigantesque appel d’air pour de telles officines. Le simple terme de « corporation » est ainsi particulièrement révélateur d’une proximité, pour ne pas dire d’une collusion, idéologique avec le régime mis en place par le « vainqueur de Verdun ». Sans surprise donc, Serge Jeanneret déroule son programme dans cet entretien, en réalité une véritable tribune, qu’il accorde à L’Ouest-Eclair.

L’intention est claire : la révision des programmes scolaires, conformément à un souhait formulé par le maréchal Pétain lui-même. Cette mesure est présentée par comme étant « indispensable » et Serge Jeanneret s’en prend à cette occasion aux « déformateurs patentés de la vérité ». Si elle n’est pas explicitement nommée, la cible est pourtant clairement identifiable. Le désir de revanche contre le Front populaire et plus particulièrement encore contre Jean Zay – Serge Jeanneret est le premier à publier le fameux texte sur le drapeau toche-c… – est en effet patent et constitue un ressort essentiel de ce discours. C’est bien « l’esprit de jouissance » et plus globalement tout ce qui semble devoir relever du marxisme – et du judaïsme – qui ici est attaqué, rappelant que Vichy ne peut être compris sans un retour par les législatives de 1936

Elèves, 1940. Collection particulière.

Mais c’est là le grand paradoxe des propos tenus par Serge Jeanneret : ceux-ci s’avèrent au final… très classiques ! Comme s’il souhaitait préfigurer les critiques sur la « repentance », le futur récipiendaire de la Francisque entend ainsi dénoncer les manuels qui présenteraient « le passé de la France comme un musée des horreurs et l’époque post-révolutionnaire comme le rendez-vous de toutes les perfections ». Vaste programme… Reste à savoir comment ces velléités réformatrices sont accueillies par la population et, en l’occurrence par le lectorat de L’Ouest-Eclair. A en juger par les succès rencontrés par la propagande de Vichy, sans doute avec une dose certaine d’indifférence…

Erwan LE GALL

 

 

 

 

 

1 « La question des manuels », L’Ouest-Eclair, 42e année, n°15995, 11 septembre 1940, p. 2.

2 LAGREE, Michel, HARISMENDY, Patrick, DENIS, Michel (dir.), L’Ouest-Eclair. Naissance et essor d’un grand quotidien régional, 1899-1939, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000.