Antoine Mazier, pionnier d’un socialisme municipal

Tous les jours, les étudiants briochins se rendent sur le campus Antoine Mazier dans l’espoir d’obtenir leurs diplômes d’études supérieures. Mais parmi eux, combien savent que le lieu où ils passent leurs examens porte le nom d’un ancien maire du chef-lieu du département qui s’appelait alors les Côtes-du-Nord ? Antoine Mazier naît en 1908, loin de la baie de Saint-Brieuc, à Saint-Étienne-Cantalès un petit village du Cantal, dans une famille d’ouvriers agricoles. La Première Guerre mondiale est une tragédie pour le jeune enfant : son père est « tué à l’ennemi » le 29 janvier 1915 à Seicheprey (Meurthe-et-Moselle) et sa mère meurt à peine une année et demie plus tard. Orphelin, il est adopté avec son frère et sa sœur par la Nation au sortir de la guerre. Commence alors, pour le jeune Antoine, une trajectoire alliant méritocratie et excellence scolaire, type de parcours que la IIIe République aime tant mettre en avant. Petit boursier du Massif central, il poursuit ses études jusqu’à la prestigieuse Ecole normale supérieure de Saint-Cloud.

Antoine Mazier à son bureau. Archives Ouest-France.

Tout nouvel enseignant à la rentrée 1930, il est nommé professeur à l'Ecole normale de Saint-Brieuc. Il adhère dans la foulée à la section locale de la SFIO. L’année suivante, il effectue son service militaire à l’Ecole des officiers de réserve de Saint-Maixent. Libéré de ses obligations militaires, il ne peut reprendre son travail à Saint-Brieuc, à cause de l’hostilité politique du directeur de l’école. En 1932, il est muté à Saint-Lô, où il poursuit son engagement politique, mais aussi syndical à la Fédération générale de l’enseignement (CGT).Il en profite également pour obtenir une licence d’histoire. En 1934, Antoine Mazier est de retour dans les Côtes-du-Nord, à l’école primaire de Lamballe, puis en 1938, après deux années compliquées par une grave maladie pulmonaire, il réintègre l’Ecole normale de Saint-Brieuc.

C’est à ce moment que l’engagement politique d’Antoine Mazier passe du militantisme à la construction d’une carrière politique. Il prend la tête de la section locale de la SFIO et dirige Le Combat social, l’organe de la fédération. Il prône alors l’union de la gauche. Le 26 mars 1939, il est candidat lors de l’élection législative partielle de la première circonscription de Saint-Brieuc, organisée pour remplacer « M. Pierre Michel, rad.-soc., élu sénateur au mois d’octobre ». Il termine quatrième sur les six candidats avec 1 949 voix, contre 4 013 pour François Auffray, radical-socialiste, « maire de Plélo ».1

Militant pacifiste, il reste en retrait lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate et obtient l’agrégation d’histoire en 1943. A la Libération, il reprend ses activités politiques en prenant le contrôle de la Fédération socialiste des Côtes-du-Nord. Pour les élections de la première Assemblée nationale constituante d’octobre 1945, il est candidat en deuxième position sur la liste SFIO. Celle-ci arrive en troisième position, devançant celle de René Pleven, mais Antoine Mazier n’est pas élu. C’est à la troisième tentative, lors des élections pour la deuxième Assemblée constituante de juin 1946, qu’il fait son entrée au Palais-Bourbon. Un poste de député qu’il conserve tout au long de la IVe République, jusqu’en 1958. D’abord proche de Guy Mollet, Antoine Mazier prend ses distances avec la direction de la SFIO à partir de 1948. Il est en effet favorable à la décolonisation et opposé à la Communauté européenne de défense.

Antoine Mazier ne néglige pas le terrain local. Le 5 août 1951, il fait partie des fondateurs du Comité d'étude et de liaisons des intérêts bretons (CELIB), aux côtés de « Tanguy Prigent, ancien ministre de l'agriculture [,du] maire RPF de Quimper, Jo Halléguen [et du] MRP morbihannais Paul Ihuel ».2 Il devient adjoint de Jean Nicolas, le maire SFIO de Saint-Brieuc, en 1953. En avril 1958, il est élu conseiller général des Côtes-du-Nord, en battant la députée MRP Marie-Madeleine Dienesch. Opposé au retour au pouvoir du général de Gaulle, il perd son poste de député face au maire MRP de Saint-Brieuc, Victor Rault.

Antoine Mazier participe en 1959 à la fondation du Parti socialiste autonome et siège même au comité politique national du Parti socialiste unifié (PSU), à partir de 1961. Aux élections municipales de 1959, il mène une liste d’union de la gauche, qui rassemble des communistes jusqu’aux chrétiens de gauche. Celle-ci est battue par la liste MRP, mais Mazier arrive à faire annuler l’élection à cause d’une prise de position de l’évêque briochin le jour du vote. Il remporte l’élection municipale partielle de 1962 et accède au poste de maire de Saint-Brieuc.

La place Duguesclin à Saint-Brieuc au début des années 1960. Carte postale. Collection particulière.

Mais après à peine deux ans de mandat, Antoine Mazier décède le 6 décembre 1964 dans un hôpital parisien, à la suite d’une longue maladie. Son fidèle lieutenant Yves Le Foll reprend le flambeau. Après sa mort, il laisse le souvenir d’un pionnier d’un autre socialisme, celui du PSU, qui s’implante durablement à Saint-Brieuc et en Bretagne. Il n’est donc pas anormal de voir Michel Rocard, leader de la Deuxième gauche, faire son éloge lors de l’anniversaire des 25 ans de la gestion municipale socialiste à Saint-Brieuc :

« Antoine Mazier a construit la puissance dont vous gérez l’héritage et le rayonnement. Antoine a formé autour de lui beaucoup d’hommes. Et l’exemple de rectitude, de courage,  d’impavidité qu’il a toujours su donner […] a été formateur pour tous ceux qui le suivaient, et dont j’étais. »3

Thomas PERRONO

 

 

 

1 AD22, JP 58. « Les élections législatives de Saint-Brieuc », Le Moniteur des Côtes-du-Nord, 1er avril 1939, p.2, en ligne.

2 L’Ouest en mémoire – INA. « Le CELIB, Comité d'étude et de liaison des intérêts bretons », FR3 Bretagne, 9 décembre 1985, en ligne.

3 INA. « 25 ans de municipalité socialiste à Saint Brieuc », FR3 Bretagne, 5 décembre 1987, en ligne.