De la France Libre au Palais Bourbon, l’itinéraire atypique de l’abbé Laudrin

Lorsqu’on évoque le rôle de l’Eglise de France pendant la Seconde Guerre mondiale, on pense immédiatement à la compromission de l’institution religieuse, aussi bien avec le régime de Vichy, qu’avec l’Occupant allemand. Il y a là un raccourci tenace – et à bien des égards erroné – qui ne tient pas compte « d’une attitude globalement honorable face aux nazis et pour certains des siens héroïque »1. Surtout, une telle représentation mémorielle ne peut que négliger la multiplicité des profils au sein de la Résistance. Le parcours de l’abbé Laudrin est, de ce point de vue, particulièrement éclairant.

Carte postale. Collezction particulière.

Hervé Laudrin naît le 23 mars 1902 à Locminé. Très jeune, il souffre du décès de sa mère et décide de se tourner vers la religion, plutôt que de devenir boulanger comme son père. Il entre alors au séminaire de Sainte-Anne d’Auray où il est ordonné prêtre en 1926. Huit ans plus tard, il arrive à Lorient en tant que vicaire de la paroisse Saint-Louis2. Il entame, dès son arrivée, un premier combat contre ses concurrents « laïcs » à qui il ne souhaite pas laisser le monopole des loisirs éducatifs et sportifs. Avec l’aide de Joseph Brisset, il fonde le Centre d’éducation physique de Lorient (CEP Lorient) en 1934.

Lorsque la guerre éclate, l’abbé Laudrin décide de s’engager volontairement comme aumônier. Comme plus d’un million de soldats français, il est fait prisonnier pendant la campagne de France. Libéré au bout de 14 mois, il rejoint Limoges afin d’y retrouver l’ancien député de Vannes, l’abbé Jean-Marie Desgranges. C’est auprès de ce dernier qu’il décide de s’opposer activement à l’occupant allemand. A la fin de l’année 1941, Hervé Laudrin remonte alors sur Lorient et se rapproche du réseau Confrérie-Notre-Dame par l’intermédiaire d’Alphonse Tanguy3. Ses activités attirent rapidement les soupçons des Allemands qui songent à l’arrêter en janvier 1943. Informé du risque qu’il encourt, il préfère s’enfuir. Avec quatre camarades, il quitte la Bretagne dans l’espoir d’atteindre l’Afrique du Nord. Les hommes passent par l’Espagne, le Portugal puis arrivent à Casablanca le 23 mai 19434

A l’été 1943, l’abbé peut enfin s’engager au sein des Forces françaises libres comme aumônier. Il participe à la campagne d’Italie, débarque en Provence puis remonte jusqu’en Allemagne où il célèbre la capitulation allemande. Hervé Laudrin fait une dernière escale à Paris – pour y être décoré de la Légion d’honneur par le général de Gaulle –, puis il rentre à Lorient où il reprend ses activités ecclésiastiques et « sportives ».

En 1958, les évènements d’Alger l’incitent à se lancer dans une carrière politique. A la fin du mois de mai, il devient l’un des vice-présidents du Comité républicain pour le recours au général de Gaulle – comité dont l’action se limite, précisons-le, au seul territoire morbihannais5. Quelques semaines plus tard, « pressé par de nombreuses personnalités politiques du Morbihan », il accepte de se lancer dans la bataille des législatives6. Plutôt que de choisir la redoutable région lorientaise, il préfère se présenter dans la troisième circonscription du Morbihan, sa circonscription natale. Malgré son inexpérience et ses 56 ans, le prestige de son parcours au sein de la Résistance lui vaut un véritable plébiscite. Il obtient en effet 79,8% des voix au second tour. Sept ans plus tard, il prend la succession de son ami Yves Kerrand à la mairie de Locminé puis, en 1967, il devient conseiller général. Hervé Laudrin se maintient pendant 19 ans dans l’hémicycle, devenant au passage le dernier ecclésiastique à siéger au Palais Bourbon. Il s’y fait surtout remarquer en 1974 lorsqu’il s’oppose vigoureusement au projet de loi sur l’IVG. L’abbé fait notamment partie des 81 députés qui saisissent le Conseil constitutionnel pour contester la légalité de la nouvelle loi7.

Profession de foi d'Hervé Laudrin pour les législatives de 1958 (détail). Archives du CEVIPOF.

En 1977, Hervé Laudrin se trouve dans une situation plus défavorable. Le député est mis en ballotage lors du premier tour des élections municipales. Se sentant désavoué, le maire ne connaîtra pourtant jamais l’issue du scrutin : il meurt le 16 mars 1977, la veille du second tour.

Yves-Marie EVANNO

 

1 BROCHE, François et MURACCIOLE, Jean-François, Histoire de la Collaboration (1940-1945), Paris, Tallandier, 2017, p. 160.

2 « Hervé Laudrin », Site internet de lAssemblé nationale, [en ligne].

3 Ibid.

4 Le périple est parfaitement raconté dans LEROUX, Roger, Le Morbihan en guerre (1939-1945), Mayenne, Ed. régionales de l’Ouest, 1977, p. 417-419.

5 Archives départementales du Morbihan, 1526 W 236, note d’orientation n°30 des renseignements généraux, juin 1958.

6 Archives électorales du CEVIPOF, tract électoral du candidat Hervé Laudrin pour le 1er tour des élections législatives, novembre 1958.

7 « Hervé Laudrin », op. cit.