L’abbé Elie Gautier : historien des Bretons en migration et fondateur de la Mission bretonne

Dès les dernières décennies du XIXe siècle, alors que les flux migratoires des Bretons vers la capitale sont au plus haut, le clergé catholique breton entreprend de garder une influence spirituelle et sociale sur ces hommes et ces femmes qui gagnent la capitale en quête d’un avenir en fédérant une communauté de Bretons de Paris autour de la paroisse de Notre-Dame-des-Champs, située à proximité du quartier Montparnasse. Cette œuvre est notamment celle de l’abbé François Cadic, recteur de la Paroisse bretonne de Paris. Aujourd’hui, les Bretons vivant dans la capitale se sont clairement détachés de cette influence cléricale. Mais il n’en demeure pas moins que la dernière véritable « institution » communautaire des Bretons de Paris est d’obédience catholique : la Mission bretonne, fondée par l’abbé Elie Gauthier en 1947.

Carte postale. Collection particulière.

Cet ecclésiastique naît le 27 juillet 1903, à Dinan dans les Côtes-du-Nord, le département breton alors touché par le plus fort exil à Paris. Son père, Elie François, est typographe et sa mère, Virginie Folliart, est repasseuse1. Si sa jeunesse est peu renseignée, on sait qu’il s’engage dans la prêtrise et qu’il a été professeur de philosophie entre 1925 et 1945 au lycée des Cordeliers, dans sa ville natale.

Tout au long de ses années d’enseignement, l’abbé Gautier se fait également chercheur en sciences sociales en préparant une thèse sur l’émigration bretonne : ses causes et ses conséquences économiques et sociales sur les hommes et le territoire des Côtes-du-Nord. Il la soutient, avec succès, en Sorbonne le 10 juin 19502. Le volume conséquent de ce travail de recherche lui permet d’en tirer plusieurs ouvrages. Un siècle d'indigence : pourquoi les Bretons s'en vont... s’attache à décrypter les mécanismes de paupérisation qui frappe les paysans des Côtes-du-Nord, les  poussant vers l’immigration. Le deuxième volume, La Dure existence des paysans et des paysannes : pourquoi les Bretons s'en vont…, est une étude sociale de la paysannerie bretonne au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Puis, en 1953, Elie Gautier dresse un tableau général, le plus exhaustif possible, sur l’émigration bretonne, sous-titré : Où vont les Bretons émigrants ?3 Dans cet ouvrage, l’historien distingue les migrations temporaires des ouvriers agricoles qui partent faire les saisons en Beauce, ou à Jersey, des migrations définitives vers Paris, ou des horizons encore plus lointains. Mais toujours, il s’attache à décrire les « conditions sociales des Bretons émigrés » et propose même des « moyens de réduire l’émigration et d’améliorer ses conditions ». Le travail de l’abbé Gautier est, à ce jour, loin d’être dépassé grâce à l’agrégation considérable, pour l’époque, de données démographiques, économiques et sociales. En ce qui concerne les Bretons de Paris, par exemple, ce sont ses estimations qui font toujours autorité. Pour autant, il faut garder à l’esprit que l’historien Elie Gautier est aussi un abbé pétri par la doctrine sociale de l’Eglise. Comme c’était le cas un demi-siècle auparavant, l’émigration demeure pour lui un fléau qu’il faut combattre.

Ce combat contre l’émigration, l’abbé Gautier ne le mène pas seulement dans les livres, mais également sur le terrain, comme son lointain prédécesseur François Cadic. En effet, il s’installe à Paris au sortir de la Seconde Guerre mondiale afin d’aider les jeunes Bretons qui continuent à émigrer dans la capitale. Après avoir dirigé L’Entr’aide bretonne de la région parisienne, située rue du Départ, à deux pas de la gare Montparnasse, Elie Gautier fonde La Mission bretonne en 1947. La nouvelle institution communautaire change régulièrement d’adresse avant de s’établir plus durablement dans la rue La Quintinie (15e) en 1962. Comme La Paroisse de Cadic, La Mission de Gautier se donne pour objectif d’aider les jeunes Bretons à trouver un logement et un travail, avant que les affres de la vie parisienne ne les détournent du droit chemin. Mais progressivement, alors que l’émigration bretonne à Paris devient de plus en plus choisie et non subie, comme ces jeunes filles devenues bonnes auprès des familles bourgeoises parisiennes qui peuvent désormais se permettre d’être exigeantes, voire de renoncer à cet emploi, La Mission bretonne devient un lieu de rencontre communautaire et un lieu de culture pour les Bretons de la capitale. L’abbé Gautier est ainsi à l’origine du Pardon de la Saint-Yves qui réunit des dizaines de milliers de Bretons aux arènes de Lutèce, sous l’égide de la « duchesse des Bretons de Paris ».

La Bretagne : un marqueur identitaire pour ces populations en migration. Carte postale. Collectio particulière.

L’abbé Gautier quitte La Mission bretonne en 1970, mais demeure parisien pendant les deux ans qu’il passe au service de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. En 1972, il retourne exercer son ministère sur ses terres natales des Côtes-du-Nord, à Grâces-Uzel et Trévé. C’est là qu’il meurt le 31 janvier 1987. Cependant, à la différence de l’abbé Cadic, l’œuvre de l’abbé Gautier lui a survécu, puisque La Mission bretonne, située aujourd’hui au 22 rue Delambre dans le quartier de Montparnasse, est toujours un haut lieu de la culture bretonne à Paris, sans avoir perdu complètement son empreinte religieuse.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

1 Arch. dép. CdA :. Registre d’état civil de Dinan, acte de naissance d’Elie Gauthier, 27 juillet 1903, en ligne.

2 MEYNIER, André, «  Le 10 juin 1950 M. l'abbé Elie Gautier a soutenu en Sorbonne ses thèses sur « Le problème de l'émigration bretonne étudié à travers la situation économique et sociale des Côtes-du-Nord aux XIXe et XXe siècles » (thèse principale) », Annales de Bretagne, Tome 56, numéro 2, 1949. pp. 289-290, en ligne.

3 GAUTIER, Elie, L’émigration bretonne. Où vont les Bretons migrants. Leurs conditions de vie, Paris, Bulletin de  l’entr’aide bretonne de la région parisienne, 1953.