L’affaire Imre Nagy et ses conséquences politiques en Bretagne

Le 16 juin 1958, Moscou annonce avoir exécuté ceux qu’elle tient pour responsables de l’insurrection hongroise de l’automne 1956, et notamment l’ancien président du Conseil, Imre Nagy. Le bloc occidental accueille cette nouvelle avec d’autant plus de stupeur que l’opacité qui règne alors rappelle les grandes purges staliniennes. En France, l’audience de la dépêche soviétique est telle qu’elle parvient à éclipser momentanément l’actualité nationale, pourtant très occupée par le retour controversé du général de Gaulle au pouvoir.

Véhicule de transport blindé soviétique BTR-152 en flammes à Budapest en novembre 1956. Wikicommons.

Dans la presse bretonne, c’est d’abord la confusion qui domine. Aucun journaliste n’est en mesure de vérifier la moindre information. Le 19 juin, Ouest-France annonce avec prudence que « [Imre] Nagy et [Pál] Maleter auraient été exécutés le mois dernier »1. Il faut dire que Moscou est parvenu à organiser dans le plus grand secret ce qui aurait pu être l’un des procès les plus retentissants de l’après-guerre. Rien ne filtre à l’Ouest et le quotidien rennais avoue qu’il ignore tout du « sort qui fut réservé ces derniers mois à l’ancien président du Conseil hongrois que l’on croyait encore interné en Roumanie ».

L’utilisation de telles méthodes réactive inévitablement le souvenir des pratiques staliniennes, que l’on pensait dépassées depuis la mort de l’ancien leader soviétique cinq ans plus tôt. C’est ce que regrettent, notamment, les rédactions de l’Ouest-France et de La Liberté du Morbihan2. Certes, la réaction des deux quotidiens bretons semble plutôt logique au regard de leur ligne éditoriale. Force est toutefois de constater que « l’indignation » est partagée par une large partie de la presse de gauche. Dans son hebdomadaire, la Fédération de la SFIO du Morbihan tient des mots encore plus durs. Selon les militants socialistes, le procès des « héros » de la révolution hongroise est une « nouvelle manifestation de la négation par les totalitaires bolchewicks (sic) de la liberté de pensée et d’agir »3.

Cette phrase prend d’autant plus de sens lorsqu’on la situe dans le contexte politique français du moment. Depuis plus d’un mois, l’ensemble de la gauche morbihannaise condamne le retour du général de Gaulle au pouvoir. Pourtant, malgré l’ampleur de la crise, les militants sont incapables de s’allier pour combattre ce qu’ils qualifient unanimement de « menace fasciste ». L’une des raisons qui explique cette division tient justement à l’alignement systématique du parti communiste français sur les directives de Moscou. Dans une note secrète rédigée un mois plus tôt, la fédération morbihannaise de la SFIO interdisait déjà à ses militants d’envisager une quelconque alliance avec les communistes au motif que ces derniers agissent pour des raisons tactiques en « s’inquiétant davantage dans des périodes troublées comme celle que nous traversons en ce moment, de rechercher le moyen de profiter de la situation, pour faciliter l’instauration en France, d’un régime de démocratie populaire, dont la République et le Parti socialiste seraient les premières victimes »4.

L’allusion à la répression instaurée en Hongrie lors de l’automne 1956 est clairement suggérée dans la note. L’exécution des meneurs de la révolution hongroise deux ans plus tard ne plaide donc pas pour une réconciliation des gauches, au contraire. Le 19 juin, les socialistes accusent Moscou de recourir à « des méthodes qui se situent dans la pure tradition fasciste »5. La charge ne manque pas de sel et décrédibilise ouvertement les communistes français qui, depuis un mois, s’organisent activement par l’intermédiaire de leurs « comités antifascistes ».

Affiche du PCF, 1958. Archives de Seine Saint-Denis: 89FI/0197.

On peut alors se demander à quel point la réception de l’affaire Nagy dans le Morbihan ne scelle pas les derniers espoirs  d’une union des militants de gauche au sein d’un front commun, comme en 1936. En 1958, le divorce est en effet définitivement prononcé. Lors des élections législatives, le communiste Roger Le Hyaric refuse de se retirer au second tour et entraine dans sa chute le grand favori de la circonscription : le socialiste Jean Le Coutaller. Il offre ainsi la victoire à l’ennemi gaulliste, Louis Le Montagner…

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 « Après la fin tragique de Nagy », Ouest-France, 19 juin 1958, p. 1 et 4.

2 « Indignation dans le monde », La Liberté du Morbihan, 19 juin 1958, p. 1.

3 « Après un procès à huit clos », Le Rappel du Morbihan, 19 juin 1958, p. 1.

4 Archives départementales du Morbihan, 1526 W 31, circulaire de la Fédération SFIO du Morbihan, 17 mai 1958.

5 « Après un procès à huit clos », Le rappel du Morbihan, 19 juin 1958, p. 1.