La création de la DATAR en 1963 : l’aménagement du territoire vu depuis le Finistère

« Est-ce que vous savez ce qu’est l’aménagement du territoire ? » Cette question n’est pas le sujet de l’épreuve de géographie du baccalauréat, mais est l’objet d’un micro-trottoir à Brest en 19631. Il faut dire que cette notion est devenue, cette année-là, un enjeu politique national avec la création de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), sous l’égide d’Olivier Guichard.

Le pont Albert Louppe et au loin Brest. Carte postale. Collection particulière.

L’idée n’est pourtant pas neuve en France. Elle émerge dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’abord avec le célèbre livre du géographe Jean-François Gravier, Paris et le désert français, paru en 1947 ; puis avec le rapport intitulé Pour un plan national d'aménagement du territoire, porté par Eugène Claudius-Petit en 1950, alors ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme. Le constat est alors simple : outre la concentration des pouvoirs politiques, Paris écrase de son poids économique le reste du pays. La majorité des industries se trouvent en région parisienne, ce qui entraîne une forte émigration provinciale. A cette même époque, émerge en Bretagne une initiative inédite qui regroupe hommes politiques de tous bords et intellectuels, le Comité d'étude et de liaison des intérêts bretons (CELIB), institution qui a pour but de dynamiser le territoire breton en revendiquant un rééquilibrage du rapport de force économique et politique entre Paris et la péninsule armoricaine. Cette modernisation tant promue de la Bretagne passe notamment par des décentralisations industrielles, comme Citroën à Rennes-La Janais en 1961 et Le Joint français à Saint-Brieuc l’année suivante.

Toutefois la création de la DATAR, en 1963, met un coup d’accélérateur à cette politique planificatrice d’aménagement du territoire. Olivier Guichard, nouveau délégué interministériel, interviewé dans le reportage de la Radiodiffusion-télévision française (RTF), tente une définition concrète du concept :

«  L'aménagement du territoire, ce sont des routes, des écoles, des emplois, et c'est surtout la projection de toutes ces choses sur une carte économique et démographique de la France qui est toujours en mouvement, et toujours en mouvement dans le sens de l'expansion. »

Avant de préciser la mission qu’il a à mener :

« Pour le gouvernement, l'aménagement du territoire, c'est la coordination de ces différents investissements publics qui concourent à la création de ce que nous venons de dire. Et pour cette coordination, c'est la création de la délégation à l'aménagement du territoire. »

Un travail d’aménagement du territoire qui doit se traduire par la structuration « d’aires métropolitaines dans les différentes régions pour enrayer ces départs massifs sur Paris ». C’est ainsi qu’un rapport des géographes Jean Hautreux et Michel Rochefort permet d’identifier huit métropoles qualifiées « d’équilibre » : l’aire Lyon-Saint-Etienne-Grenoble, Aix-Marseille, Toulouse, Bordeaux, Lille-Roubaix-Tourcoing, Strasbourg, Nancy-Metz et pour ce qui concerne la Bretagne l’axe Nantes-Saint-Nazaire. Rennes, au même titre que Dijon, Nice, Clermont-Ferrand et Rouen, n’intègre ce club fermé que dix ans plus tard.

Outre l’ambition industrielle et économique, les politiques publiques d’aménagement du territoire de la DATAR visent également à

« améliorer les conditions de vie, redonner de la vie aux centres secondaires de vos provinces, et spécialement dans l'Ouest, et enfin refaire ces liaisons transversales indispensables en France, ces liaisons inter villes pour que le pays échappe enfin à cette toile d'araignée que nous a légué le XIXe siècle et dont Paris est le centre. »

Mais le citoyen, que perçoit-il de tout cela ? A écouter le micro-trottoir réalisé auprès d’un échantillon plutôt diversifié, on remarque que les Brestois interrogés sont plutôt au fait de la question, malgré quelques : « je ne sais pas », ou « c’est assez compliqué pour moi ». L’aménagement du territoire, de leur point de vue, doit d’abord être un moyen de développer leur environnement de vie : bénéficier de services publics (écoles, hôpitaux), d’emplois via les décentralisations industrielles, de nouvelles voies de communication qui passent par la construction d’autoroutes etc.

Vue du port de Brest. Carte postale. Collection particulière.

Sans doute que le fait que l’enquête soit menée à Brest, commune particulièrement excentrée, n’est pas neutre et soit même de nature à altérer les résultants. Pourtant, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là de problématiques qui s’observent sur le temps long. En effet, plus d’un demi-siècle plus tard, la crise des Gilets jaunes remet sur le devant du débat public la question de l’aménagement du territoire. C’est ainsi largement exprimé un sentiment d’abandon des territoires ruraux et périurbains face au phénomène de métropolisation. Comme si le « désert français » s’était morcelé à l’échelle de chaque région.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 INA , Jalons. « La création de la DATAR », RTF, 06/11/1963, en ligne.