Olivier Guichard et la Bretagne : une histoire à écrire

Olivier Guichard est un homme de paradoxes. Grand baron du gaullisme, son nom sonne encore familièrement dans bien des mémoires même s’il n’a jusqu’alors que peu attiré l’attention des historiens1. On mesure dès lors tout l’intérêt de la publication, sous la direction de F. Fogacci et G. Le Béguec, des actes du colloque qui lui fut consacré, sous l’égide de la Fondation Charles de Gaulle, en 2015, volume pluridisciplinaire réunissant des historiens aussi référencés que B. Lachaise et T. Tellier2. Car se plonger dans la vie d’Olivier Guichard c’est aussi, et peut-être même surtout, s’immerger dans un monde politique dont il est sans doute permis de se demander s’il n’a pas disparu.

Olivier Guichard s’apprête à monter à la tribune lors de l’inauguration de l’électrification de la voie de chemin de fer jusqu’au Croisic. Carte postale. Collection particulière.

F. Fogacci le rappelle d’ailleurs dès l’ouverture de ce livre, « le gaullisme d’Olivier Guichard est un mélange d’adhésion raisonnée, de distance critique et de fidélité inconditionnelle » (p. 17) envers l’Homme du 18 juin. Imagine-t-on encore aujourd’hui, ne serait-ce que quelques instants, non pas une telle loyauté mais une personnalité politique susceptible de générer semblables adhésions ? On se rappelle par exemple d’Olivier Guichard, manœuvrant comme une sorte de « gardien du temple » (p. 19) et rappelant sévèrement à l’ordre, en 1975, le Premier ministre d’alors, un certain Jacques Chirac, suspecté de pratiques peu conformes à l’héritage du Grand Charles.

Cette autre ère politique s’incarne également dans les pratiques. Cadre du RPF, il est un véritable « commis voyageur du gaullisme » (p. 25), parcourant en voiture les sections, formant les militants, repérant les talents prometteurs. Tout entier dévolu à son engagement, ses émoluments sont jugés modestes : 30 000 francs par mois plus les frais, eux plus conséquents d’après F. Fogaci (p. 22). Mais plus encore, Olivier Guichard est membre d’un club politique très fermé, celui de ces « barons du gaullisme » qui prennent l’habitude de déjeuner ensemble le mercredi. Ce faisant, sous la plume de B. Lachaise, c’est un véritable, et passionnant, rituel qui se fait jour, moment mêlant bien entendu enjeux politiques mais aussi réelle affection et esprit de clan (p. 39). C’est ainsi l’image d’une classe politique qui mange, boit et fume qui se donne à voir à travers Olivier Guichard, à l’exemple des apéritifs de travail qui réunissent à 19 heures les membres de son cabinet autour d’un verre de whisky où se mêlent liens professionnels mais aussi affectifs (p. 148). Pratique difficilement envisageable aujourd’hui, à l’heure de la loi Evin et du diktat de la minceur.

Curieusement, si plusieurs des contributeurs de ce riche volume soulignent l’ascendance girondine d’Olivier Guichard (p. 20, 35), aucun auteur ne rappelle ses origines bretonnes. Or celles-ci, du côté paternel, sont réelles. Olivier Guichard n’est en effet nul autre que le petit-fils de Maurice Guichard, polytechnicien, ingénieur dans le domaine des constructions navales et surtout directeur des Ateliers et Chantiers de la Loire à Saint-Nazaire, position qui bien entendu n’est pas sans laisser d’importantes traces dans la mémoire collective, et plus encore dans les franges les plus ouvrières de l’électorat. Dans ces conditions, on voit mal comment l’arrivée d’Olivier Guichard en Loire-Atlantique peut être qualifiée de « parachutage » (p. 178 notamment) : certes il y poursuit une carrière politique débutée à Néac, en Gironde, mais il dispose de réelles et solides attaches dans ce territoire qui invitent, à notre humble avis, à un vocabulaire plus mesuré. Ajoutons d’ailleurs qu’il partage en cela un point commun avec Michel Debré, lui aussi habitué de cette portion de littoral puisqu’il passe ses vacances dans la résidence familiale de Préfailles. Il serait d’ailleurs intéressant de voir si cette proximité géographique s’est matérialisée, ou non, sur le plan politique…

Olivier Guichard président de région: un terrain qui devrait interroger le rapport à la Bretagne. Carte postale. Collection particulière.

L’omission de la dimension bretonne d’Olivier Guichard dépasse d’ailleurs de très loin la simple perspective biographique. En effet, il paraît difficile d’envisager la trajectoire de ce « grand élu de l’Ouest » (p. 177), disposant de surcroit d’un réel magistère en termes d’aménagement du territoire (il est en 1963 le premier Délégué à l’aménagement du territoire, institution plus connue sous l’acronyme de DATAR, puis devient ministre au début des années 1970 de l’Aménagement du territoire, de l’Equipement, du Logement et du Tourisme), sans interroger son rapport à la Bretagne. Là n’est du reste pas le seul manque de ce volume : on aurait ainsi apprécié un exposé détaillé de son action en 1958, année décisive s’il en est. Olivier Guichard est en effet « un des hommes clés » du retour au pouvoir du général de Gaulle et S. Tricaud rappelle que c’est lui qui part à la Boisserie après le bombardement de Sakiet Sidi Youssef. Autant d’angles-morts, de portes non ouvertes, qui n’oblitèrent nullement l’intérêt de cet ouvrage collectif mais qui rappellent seulement qu’Olivier Guichard n’a pas encore trouvé son historien. Il ferait pourtant un excellent sujet de thèse de doctorat.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

 

1 La seule biographie qui lui est consacrée est GRASSIN, Maurice, Olivier Guichard, Nantes, Editions Siloë, 1996.

2 FOGACCI, Frédéric et LE BEGUEC, Gilles (dir.), Olivier Guichard, Paris Nouveau monde Editions, 2018. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.