La genèse du Vieux lion ou comment nait-on à la politique en 1958 ?

Maire de Coat-Méal de 1945 à 1983, conseiller général de Plabennec de 1945 à 1973 et député du Finistère de 1958 à 1978, Gabriel de Poulpiquet (1914-2013), surnommé Le Vieux lion de Coat-Méal, s’avère une figure marquante de ce gaullisme breton qui émerge politiquement en 19581. Mais si cette éclosion doit se comprendre dans le cadre du retour au pouvoir du général de Gaulle, celle-ci plonge ses racines dans bien des réseaux, bien des sociabilités, bien des engagements antérieurs.

Capital familial, réseaux et engagement

En 1945, date de son entrée en politique, il mobilise pleinement la ressource des engagements en guerre pour compenser son absence de parcours résistant. Son père, Louis de Poulpiquet de Brescanvel (1887-1915), sergent puis capitaine de réserve au sein du 51e régiment d’infanterie, trouve la mort au ravin de Sonvaux lors de la bataille des Eparges le 9 juillet 1915. Ancien combattant lui-même, il combat avec la 19e division d’infanterie en Alsace et participe à la bataille de la Somme, quand son frère est prisonnier de guerre en Silésie. 

Plabennec. Carte postale. Collection particulière.

Marié à une descendante du comte de Blois, Gabriel de Poulpiquet incarne ces figures politiques notabiliaires qui continuent à encadrer le système politique local jusqu’au milieu du XXe siècle. Son beau-père, le comte Jean de Blois de la Calande, est conseiller général de Plabennec (1936-1940) et maire de Coat-Méal (après son propre père à la fin du XIXe siècle). Cet enracinement politique local sur plusieurs générations vaut aussi du côté de la mère de Gabriel de Poulpiquet (un ancêtre député du Finistère en 1848, un autre maire de Milizac, sa commune natale dès 1821).

Dernier axe d’une trajectoire disposant aux propriétés politiques, ses responsabilités dans les milieux agricoles. Agent technique et commercial à L’union meunière agricole, une filiale de l’Office de Landerneau dirigé par Hervé Budes de Guébriant. Secrétaire du Syndic agricole communal, il se démarque de la tendance collaborationniste des instances finistériennes de la Corporation paysanne. Entre accommodement et stratégie d’atténuation ou de contournement des réquisitions nazies par exemple (plusieurs exemples en sont donnés par Gabriel de Poulpiquet dans son autobiographie, p. 28-40), son attitude politique durant l’Occupation ne l’exonère pas, en 1944-1945, d’accusations de collaboration par ses opposants politiques.

Gaulliste ou indépendant ?

A partir de 1943, le couple de Poulpiquet part donc vivre dans le manoir familial à Kerascoët, à Coat-Méal par Lannilis. Conservant des liens avec les réseaux de résistance, il reste néanmoins en dehors des maquis locaux, sur les conseils du recteur Férec notamment. En outre, au sein des cercles familiaux, Césaire et Gilberte de Poulpiquet de Brescanvel étaient engagés au sein du réseau Pat Line, plus connu sous le nom de Pat 0’Leary, depuis leur manoir de Quéménéven. Déporté en compagnie de Jean Crouan, futur président du Conseil général, Césaire meurt d’ailleurs en Allemagne en 1945.

Carte postale. Collection particulière. Arch. dép. Finistère: 2 Fi 35/1.

En 1945, le maire de Coat-Méal, Jaouen, reconduit dans les urnes, décide de quitter ses fonctions, s’estimant réhabilité. C’est Gabriel de Poulpiquet qui occupe le siège de maire jusqu’en 1983. Il mène une politique qui vise à la modernisation de la commune tout en veillant à conserver les hiérarchies sociales et culturelles comme socle de l’ordre local.

Lors des cantonales de septembre-octobre 1945, en dépit du soutien de l’essentiel des maires du canton (8 sur 11) au candidat du Mouvement républicain populaire (MRP), Saïk Ar Gall (ancien adjoint au maire de Plabennec, président du Conseil d’arrondissement et président de coopérative agricole), appuyé par les réseaux cléricaux, Gabriel de Poulpiquet parvient à se faire élire conseiller général de Plabennec. Fort de l’aura de son beau-père, mort en déportation, et de ses réseaux d’influence (nobiliaires, agricoles…), il l’emporte dès le premier tour de scrutin, sous l’étiquette de l’Union républicaine et démocratique (URD), avec 4 297 voix (68.2 % des suffrages). Il distance nettement le candidat MRP, Saik Ar Gall (1 767 voix, 28.1 %). La gauche étant réduite à sa portion congrue dans ce territoire très conservateur, Claude Vourch, du Parti communiste français (PCF), recueille seulement 221 voix (1.6 %). 

Reconduit comme maire et conseiller général (en 1949, Républicain indépendant-RI mais présenté par le Rassemblement du peuple français-RPF), Gabriel de Poulpiquet s’affirme comme un compagnon du général de Gaulle, affichant ses engagements dans le nouveau parti gaulliste dès sa fondation. En janvier 1956, il figure sur la liste des Indépendants et paysans, sans être élu. On voit donc que son éclosion politique avec son accession aux fonction parlementaire dans le sillage du retour au pouvoir du général de Gaulle ne doit absolument rien au hasard.

Député-gaulliste, député-syndicaliste

En novembre 1958, avec le retour au scrutin uninominal à deux tours, il  rassemble sous l’étiquette UNR 17 806 voix sur 51 515 au 1er tour. Arrivé en tête, il devance le candidat MRP, André Colin (15 087 voix) ainsi que le Dr Paul Guyader, autre candidat gaulliste, maire de Saint-Renan, sous l’étiquette Ve République (10 436 voix). A gauche, Jean-Louis Rolland, ancien député (1936-1940, 1945-1946) et sénateur (1955-1959), obtient 6 461 voix sous l’étiquette SFIO tandis que le communiste Henri Roudot (1 725 voix) est largement distancé. Au second tour, Gabriel de Poulpiquet l’emporte très nettement avec 29 638 voix contre André Colin (17 548 voix), figure nationale du MRP, et ce en dépit du rayonnement dans les milieux agricoles de son suppléant Paul Lareur, figure de la Jeunesse agricole chrétienne (JAC). Cette victoire marque la revanche de la droite conservatrice sur les démocrates-chrétiens, une rupture politique depuis l’élection de l’abbé Gayraud en 1897, due notamment au choix décisif du comte de Blois. La circonscription de Quimper, théâtre de l’affrontement Hervé Nader/André Monteil, voit aussi ces tensions et recompositions MRP/UNR s’exprimer.

De 1958 à 1978, inlassablement engagé dans le travail législatif, il déploie une activité parlementaire technique de tous les instants au service de sa clientèle électorale et de son territoire local d’élection, agissant à la manière d’un syndicaliste, en somme. La multiplicité de ces interventions et initiatives, souvent en utilisant une méthode véhémente qui lui vaut plusieurs rappels au règlement, révèle à la fois la grille de lecture gaulliste du député-châtelain du Finistère mais aussi une volonté de peser, par le travail politique, sur les débats en faisant bénéficier d’avantages divers le bloc socio-culturel de sa circonscription qui le soutient politiquement .

Gabrilel de Poulpiquet. Archives Ouest-France.

Il est continuellement réélu sous diverses étiquettes gaullistes (UDT-UNR-UDR-RPR) jusqu’en 1978, date à laquelle Jean-Louis Goasduff, qui lui avait déjà succédé au Conseil général en 1973, prend sa suite.  En juin 1968, il est réélu avec 88 % des voix dès le premier tour, obtenant un des meilleurs scores des élus, dans un duel électoral déséquilibré face à Yves Cam (PCF).  Critique face à l’évolution de l’organisation gaulliste, il se présente en 1986 aux côtés de Marc Bécam et Georges Lombard, rompant la dynamique d’union des droites RPR-UDF qui vole en éclats dans le Finistère. En 2002, il rend public son soutien à la candidature de Jean-Pierre Chevènement lors de l’élection présidentielle, tandis que son ancienne assistante parlementaire, Marguerite Lamour, regagne pour l’UMP la circonscription de Landerneau, perdue en 1997 face au PS. Officier de la légion d’honneur, décoré par Michel Debré, Gabriel de Poulpiquet avait publié une autobiographie intitulée Ma Vérité (éd.  Alain Bargain, 238 p.), préfacée par Charles Pasqua2.

François PRIGENT

 

 

 

 

1 Outre les données électorales, plusieurs sources ont été compulsées. Arch. Dép. du Finistère – Arch. de l’Assemblée Nationale, dossier individuel - Arch. de l’Assemblée Nationale, tables nominatives -http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr (fiche Louis de Poulpiquet de Brescanvel) – Presse locale – Le Monde.

2 Pour aller plus loin, cf. Prigent, François, « Gabriel de Poulpiquet », in Jansen Sabine (dir.), Dictionnaire des parlementaires de la Ve République (en ligne sur le site de l’Assemblée nationale).