André Colin : la démocratie-chrétienne en action

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la sensibilité démocrate-chrétienne triomphe en Bretagne. Elle s’incarne dans la ligne éditoriale du quotidien Ouest-France – successeur de L’Ouest-Eclair à la Libération –, mais aussi à travers un parti politique, le  Mouvement républicain populaire (MRP), qui se pense comme une troisième voie entre les gaullistes du Rassemblement du peuple français (RPF) – devenu Union pour la nouvelle République (UNR) en 1958 – et le Parti communiste. Paul Ihuel dans le Morbihan, Marie-Madeleine Dienesch dans les Côtes-du-Nord, Henri Fréville en Ille-et-Vilaine et André Colin dans le Finistère font partie des figures politiques les plus notables du MRP breton. Mais, semblant souffrir de la disparition de leur parti du paysage politique, au contraire de la sensibilité qu’ils portent, leurs mémoires ne sont plus guère revendiquées de nos jours, malgré des parcours pouvant être de premier ordre, comme celui du Finistérien.

Plounéventer, le fief familial d'André Colin. Carte postale. Collection particulière.

André Colin naît le 19 janvier 1910 à Brest dans une famille issue de la notabilité léonarde des Juloded1 : les Soubigou de Plounéventer. Construites sur la prospérité toilière du Léon, ces dynasties familiales dominent également la scène politique du nord-Finistère dès la fin du XIXe siècle. Les Soubigou en sont l’un des exemples les plus éclatants. Ils ont produit sept maires de Plounéventer, deux sénateurs, deux députés, plusieurs conseillers généraux et un secrétaire d'Etat depuis la Révolution ! Le grand-père d’André Colin, Jean-Pierre Soubigou, est ainsi maire du fief familial entre 1876 et 1902. Politiquement, les Juloded sont des partisans du conservatisme social et des défenseurs d’un catholicisme ardent. La formation intellectuelle du jeune André l’amène du collège Notre-Dame de Bonsecours à Brest, à l'université catholique d'Angers, jusqu’à Paris, où il achève au début des années 1930 un doctorat en droit. Il s’inscrit dans la tradition familiale de l’engagement public avec son élection, en 1936, à la présidence de l’Association catholique de la jeunesse française. Ce mouvement fondé par le comte Albert de Mun en 1886 a glissé progressivement dans l’entre-deux-guerres d’un catholicisme légitimiste vers le catholicisme social. C’est là que se forge la culture démocrate-chrétienne d’André Colin. Des convictions qui guideront tous ses engagements futurs.

Au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il est attaché au 2e bureau de la division navale du Levant à Beyrouth, en tant qu’officier de justice maritime. Quatre jours après l’appel du général de Gaulle, le 18 juin 1940, à la BBC, André Colin lance lui aussi, depuis la radio de Beyrouth, un appel à continuer le combat contre l’Allemagne nazie : « Nous nous sommes engagés dans cette guerre, qui nous était imposée, avec toute notre volonté et notre force, parce que nous savons que, défendant la France, nous luttons aussi pour tout ce qui fait que la vie vaut d'être vécue […] » Rentré en France, Colin se rapproche de Pierre Brossolette et de Georges Bidault lors de la constitution du Conseil national de la Résistance, dont il est membre dès 1942. En 1943, il est notamment l’artisan de la création des Forces unies de la jeunesse patriotique. En récompense de toutes ses actions clandestines, il est décoré de la Légion d’honneur, de la Croix de guerre 1939-1945 et de la Médaille de la Résistance.

A la Libération, sa carrière d’élu débute par sa participation à l’Assemblée consultative provisoire de Paris, à partir du 8 novembre 1944. Il participe également à la création d’un parti politique démocrate-chrétien issu des réseaux résistants chrétiens : le MRP. Il en est le secrétaire général de 1944 à 1955, puis le préside entre 1959 et 1963. Membre de la Première assemblée nationale constituante, il est élu député du Finistère le 10  novembre 1946. Un poste qu’il conserve jusqu’en décembre 1958.  Il participe également à sept gouvernements de la IVe République, notamment en tant que secrétaire d’Etat à l’Intérieur. Au cours de ses mandats, il s’oppose à la politique indochinoise de Mendès-France, plaide pour l’intégration européenne et soutient la Communauté européenne de défense. En 1958, il se rallie au général de Gaulle, en votant la confiance le 1er juin puis les pleins pouvoirs le lendemain. L’année suivante, il passe du Palais Bourbon à celui du Luxembourg. Réélu en 1962 et 1971, il conserve son siège de sénateur jusqu’à sa mort en 1978.

A droite, André Colin, aux côtés de Jean Lecanuet. Photographie de presse. Collection particulière.

Dans ce nouveau mandat, il continue de défendre ses convictions européennes, sans délaisser son ancrage breton. Il soutient le développement économique de la région : modernisation agricole, plan routier, amélioration de la desserte maritime des îles… Il œuvre également pour la défense du littoral breton. Il est en pointe du combat parlementaire lorsque deux naufrages viennent souiller les côtes bretonnes : Torrey Canyon en 1967, Amoco Cadiz en 1978. En 1976, il succède à René Pleven à la présidence du Conseil régional de Bretagne.

André Colin s’éteint le 28 août 1978 dans sa propriété de Carantec. C’est sans doute sa fille, Anne-Marie Idrac, qui porte le mieux l’héritage politique de son père : trois fois secrétaire d’Etat centriste dans les années 1990-2000, elle incarne une ligne démocrate-chrétienne pro-européenne de plus en plus rare dans le paysage politique français contemporain.

Thomas PERRONO

 

 

 

1 ELEGOËT, Louis, Les Juloded. Grandeur et décadence d'une caste paysanne en Basse-Bretagne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996.