Henri Fréville : un historien à la mairie de Rennes

Le maire des Trente glorieuses, c’est ainsi que l’on pourrait surnommer Henri Fréville, ses mandats à la tête de la mairie de Rennes entre 1953 et 1977 coïncidant chronologiquement avec cette période de croissance économique.1 Sous sa direction, la cité bretonne connait de profondes transformations, passant du statut d’une paisible préfecture régionale à celui d’une métropole d’envergure nationale.

L'avanue Janviuer à Rennes, dans les années 1950. Carte postale. Collection particulière.

Si l’histoire d’Henri Fréville semble entièrement liée avec celle de Rennes, il n’en est pourtant pas originaire. En effet, il naît le 4 décembre 1905 à Norrent-Fontes, un petit village du Pas-de-Calais proche de Béthune, dans une famille dont le père est instituteur. Après de brillantes études menées dans des établissements prestigieux : lycée Faidherbe à Lille, lycée Louis-le-Grand et université de la Sorbonne à Paris, il décroche l’agrégation d’histoire.2 C’est au hasard d’une nomination en tant que professeur d’histoire au Lycée de garçons, situé sur l’avenue Janvier, que Fréville découvre la ville de Rennes en 1932. Sa carrière d’historien prend une nouvelle dimension avec sa nomination en tant qu’enseignant à la Faculté de lettres de Rennes en 1949. En 1953, il soutient sa thèse de doctorat en histoire moderne, qui porte sur l’Intendance de Bretagne, une institution créée par Louis XIV et dont le siège est à Rennes.3 La même année, il est nommé professeur titulaire à la faculté. Deux ans plus tard, il remporte le grand prix Gobert, l’Académie française saluant là la qualité de sa thèse. Au cours de sa carrière d’universitaire, qu’il poursuit jusqu’en 1971, il fonde notamment l’Institut armoricain de recherches historiques, un laboratoire de recherche en histoire, ancêtre de l’actuel Centre de Recherches Historiques de l'Ouest (CERHIO) et qui fut notamment dirigé par la suite par Jean Delumeau, Jean Meyer et François Lebrun.

Quand éclate la Seconde Guerre mondiale, Henri Fréville est mobilisé dès le mois de septembre 1939. Il est fait prisonnier lors de la dramatique retraite de Dunkerque, à la fin du mois de mai 1940. Il est alors retenu dans un Stalag jusqu’en mars 1943. A son retour à Rennes, il entre dans la Résistance et devient le délégué pour la Bretagne du Comité général d'étude pour l'Information. A la Libération, il est nommé directeur de cabinet de l’ancien maire de Brest Victor Le Gorgeu, devenu Commissaire régional de la République pour les quatre départements bretons. Durant cette période, Henri Fréville, l’historien, s’intéresse notamment au comportement des nationalistes bretons face à l’Occupation. Il base notamment son travail sur des documents récupérés dans les locaux de l’hôtel Majestic, situé dans le XVIe arrondissement de Paris, bâtiment ayant abrité entre octobre 1940 et juillet 1944 le siège du haut commandement militaire allemand en France (Militärbefehlshaber in Frankreich)4. L’attentat du F.L.B. qui vise son domicile le 26 août 1975 est probablement lié à ces travaux.5

A côté de sa carrière d’historien, Henri Fréville mène également une carrière de militant politique démocrate-chrétien, proche des idées du Sillon, ainsi que du personnalisme d’Emmanuel Mounier. Après guerre, la puissance de ce courant politique dans le département modéré d’Ille-et-Vilaine, est un terreau favorable lui permettant de mener carrière. Il est tout d’abord élu conseiller municipal MRP de Rennes en 1947. Six ans plus tard, en 1953, il décroche le poste de premier magistrat de Rennes. Il le conserve sans discontinuer jusqu’en 1977, quand il décide de ne pas se représenter. Sa carrière municipale est complétée par une autre, à l’échelle départementale, puisqu’il est le président du Conseil général d’Ille-et-Vilaine entre 1966 et 1676, et même une troisième à l’échelle nationale, en tant que député de la première circonscription d’Ille-et-Vilaine de 1958 à 1968, avant qu’il ne devienne sénateur entre 1970 et 1977. De ce dernier mandat, on peut retenir son vote en faveur de la loi Veil sur l’I.V.G. en 1975, ce qui est unique – à l’exception du député de Fougères – à l’échelle des parlementaires d’Ille-et-Vilaine.6 Malgré tout, c’est son œuvre de maire qui demeure la plus importante dans son cursus honorum. La ville de Rennes connaît de profonds bouleversements, dans le prolongement de la nécessaire Reconstruction suite aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale. L’urbanisme est profondément modernisé, sous la conduite notamment des architectes Georges Maillols, à qui l’on doit quelques bâtiments emblématiques comme la Tour des horizons, et Louis Arretche, qui crée entre autres le quartier du Colombier. Rennes devient également une ville industrielle avec l’installation en 1958 de l’usine Citroën Rennes-La Janais, première usine d'assemblage du constructeur automobile en dehors de la région parisienne. La vocation universitaire de la ville se développe aussi, avec l’ambition de rayonner sur la Bretagne. En 1969, l’université de Rennes est scindée en deux. La faculté de lettres, devenue l’université Rennes 2, s’installe sur le campus du nouveau quartier de Villejean. Tandis que la faculté de sciences de l’université Rennes 1 prend ses quartiers dans le campus à l’américaine de Beaulieu. Tout ceci résume bien l’ambition de Fréville pour sa ville : en faire « un Rennes moderne, un Rennes travailleur, un Rennes humain ». Le maire a le regard tourné vers le futur, vers « l’an 2000 ».

Avec le général de Gaulle, lors d'une visite à Rennes. Archives municpales de Rennes.

Pourtant, la postérité de son œuvre est rapidement contestée, dès les élections municipales qui suivent son retrait de la vie municipale. En effet, Jean-Pierre Chaudet (Républicain indépendant), son ancien adjoint à l’urbanisme qu’il a décidé de soutenir, est battu par la liste d’Union de la gauche d’Edmond Hervé par près de 56% des voix au second tour, le 20 mars 1977.  Si cette défaite est certainement à mettre au compte d’un certain nombre de critique de la gestion municipale d’Henri Fréville dans les dernières années de son mandat, elle est davantage le signe manifeste d’un essoufflement du courant démocrate-chrétien en Ille-et-Vilaine et plus largement en Bretagne, au profit d’un socialisme municipal modéré.

Thomas PERRONO

 

1 Notons que les archives privées d’Henri Fréville sont conservées aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine sous la cote 52J.

2 Informations recueillies dans sa fiche biographique de sénateur.

3 Compte rendu de la thèse d’Henri Fréville, paru dans les Annales de Bretagne en 1954.

4 A ce propos on ne peut que renvoyer à l’incontournable EISMANN, Gaël, Hôtel Majestic. Ordre et sécurité en France occupée (1940-1944), Paris, Tallandier, 2010.

5 Arch. mun. Rennes : 60 W 2, attentat perpétré contre le domicile de M. Henri Fréville : correspondance, articles de presse (attentat du 26 août 1975).

6 POREE Lydie, « La loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse à Rennes : une application difficile (1975) », En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°5, hiver 2015, en ligne, p.3.