Jean Lecanuet : un Normand en terres d’élections bretonnes ?

Envisager les liens de Jean Lecanuet avec la Bretagne tiendrait presque de la provocation quand le parcours de cet homme politique est viscéralement ancré en Normandie, en Seine-Maritime et à Rouen tout particulièrement, ville dont il est maire pendant 28 ans, de 1968 à 1993. Pourtant, celui qui est candidat à l’élection présidentielle de 1965, et contribue à la mise en ballotage du général de Gaulle lors de ce même scrutin, cultive des liens profonds et réels avec la péninsule armoricaine.

Jean Lecanuet, à gauche, sur un plateau de télévision dans les années 1970. Photographie de presse. Collection particulière.

Il est vrai que nonobstant la rivalité picrocholine opposant Normands et Bretons, la région se révèle être une terre d’élection potentiellement assez favorable pour lui tant sa sensibilité démocrate-chrétienne y est profondément implantée. A Rennes, le maire Henri Fréville incarne par exemple bien ce courant tout en sensibilité et mesure. A Vitré, on pourrait également citer le nom de Pierre Méhaignerie, candidat MRP aux législatives de 1968 dans la circonscription auparavant détenue par … son père, Alexis Méhaignerie, lui aussi démocrate-chrétien. On pourrait également évoquer dans le Morbihan le cas de Paul Ihuel ou dans les Côtes-du-Nord celui de Marie-Madeleine Dienesch. Ajoutons enfin que ce positionnement démocrate-chrétien est peu ou prou celui de Ouest-France, même si parfois quelques crispations idéologiques peuvent affleurer dans la ligne éditoriale, notamment à propos de la guerre d’Algérie.

Aujourd’hui, l’élection présidentielle de 1965 est considérée comme le sommet de la carrière de Jean Lecanuet, considération cruelle en ce qu’elle le classe définitivement parmi les « perdants magnifiques » du paysage politique français. Pourtant, avec le recul, ce scrutin apparaît d’une étonnante modernité. En effet d’une certaine manière, il annonce l’heure de François Mitterrand, même si celle-ci ne sonne que 16 ans plus tard, autrement dit une éternité. De la même manière les 5,27% des suffrages exprimés obtenus par Jean-Louis Tixier-Vignancourt marquent le retour de l’extrême droite sur la scène politique nationale, une tendance qui ne fera que se confirmer avec l’émergence progressive du Front national.

Certes, l’Ille-et-Vilaine, de même que le Morbihan du reste, accorde la majorité absolue au général de Gaulle lors du premier tour de la présidentielle 1965, quand le Finistère, les Côtes-du-Nord et la Loire-Atlantique le placent en tête1. Pour autant, ce département, et plus particulièrement encore la ville de Rennes, demeure une place forte pour Jean Lecanuet, base réelle sinon véritable fief sur lequel bâtir pour l’avenir. D’ailleurs, du 21 au 23 mai 1976, un an avant que le chef-lieu du département ne bascule à gauche, à la faveur d’une véritable vague rose sur l’ouest, il vient présider le congrès fondateur du Centre des démocrates sociaux, une formation aujourd’hui oubliée mais qui constitue un des piliers sur lesquels repose l’Union pour la démocratie française forgée autour de Valéry Giscard d’Estaing. C’est d’ailleurs à Rennes que Jean Lecanuet expose le principe même appelant à la création de ce parti2.

Jean Lecanuet, à gauche, en 1890, à l'occasion d'une conférence de presse de l'UDF. Photographie de presse. Collection particulière.

Bien entendu, il ne s’agit pas d’ériger, par une sorte de cousinage à la mode de Bretagne, Jean Lecanuet en parangon de la celtitude. Pour autant, il n’en demeure pas moins qu’en tant que figure majeure de la démocratie chrétienne, il cultive des liens forts avec cette région où ce courant est si vivement représenté. D’ailleurs, quand Valéry Giscard d’Estaing vient à Rennes tenir un meeting pour les élections municipales de 1974, le futur Président de la République passe la nuit à Bruz, au manoir de la Droulinais, propriété de l’industriel François Pinault. Ce jour-là, il est accompagné par Jean Lecanuet, venu le soutenir dans sa campagne victorieuse contre François Mitterrand qui, précisément, l’avait devancé en 1965.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 Pour une analyse des résultats de ce scrutin, se rapporter notamment à GOGUEL, François, « L’élection présidentielle française de décembre 1965 », Revue française de science politique, 16e année, n°2, 1966, p. 221-254.

2 CHALINE, Nadin-Josette (dir.), Jean Lecanuet, Paris, Beauchesne éditeur, 2000, p. 76-77. Sur l’UDF, se rapporter à l’incontournable RICHARD, Gilles (dir.), GUILLAUME, Sylvie et SIRINELLI, Jean-François (dir.), Histoire de l’UDF. L’Union pour la démocratie française, 1978-2007, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.