Le village harki de la cité des Ajoncs à Saint-Avé

En ce 14 juin 1964, le préfet du Morbihan, Jean-Paul Roy, revêt son uniforme de cérémonie : gants blancs, veste et casquette parées de broderies dorées. Le faste de la République est déployé à l’occasion de l’inauguration de la cité des Ajoncs, sise au lieu-dit la Terre rouge, sur la commune de Saint-Avé, au nord de Vannes. Comme le montre un court reportage de l’ORTF1, le moment est solennel et obéit à un rituel immuable: le représentant de l’Etat dans le département du Morbihan coupe le ruban tricolore, sert les mains du public invité et fait le tour des différentes installations. La particularité de ce nouveau village ? Il est destiné à accueillir 30 familles de harkis, ces individus d’origine nord-africaine qui, pendant la guerre d’Algérie, choisissent de servir la France au sein de formations supplétives. Les images sont éloquentes et sont tournées à l’évidence pour constituer un puissant symbole. Mais, pour autant, peut-on considérer quela Bretagne prend sa part dans la misère de ces familles réfugiés en France à la suite de la signature des accords d’Evian ?

Groupe de harkis. Sans lieu ni date. Collection particulière.

Il faut, tout d’abord, souligner que ce projet de village harki au cœur du Morbihan naît, en février 1963, à l’initiative d’une jeune étudiante, Isabelle Séchet. C’est donc une initiative privée qui est l’origine de cette cité. Mais, rapidement, les services de l’Etat se saisissent du dossier avec la tenue d’un groupe de travail en préfecture, le 1er mars 1963, et la création d’une association – le Comité d’accueil des Français musulmans – chargée d’organiser l’accueil et l’intégration des harkis dans le département. Dans les mois suivants, 26 familles débarquent dans le Morbihan en provenance des camps de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales, installation de sinistre mémoire car utilisée comme camp d’internement pendant la Seconde Guerre mondiale) et de Colomb-Béchar (Algérie).

En Bretagne comme partout ailleurs dans l’hexagone, c’est l’urgence qui caractérise le rapatriement des harkis. Ainsi, ces familles sont dans un premier temps logées de façon provisoire chez l’habitant ou à l’hôtel. Ce n’est qu’au mois d’octobre 1963 que les travaux de construction du village débutent à Saint-Avé, après l’acquisition d’un terrain sur une lande proche de la route de Pontivy. La nouvelle cité des Ajoncs, inaugurée le 14 juin 1964, comprend 20 logements répartis sur 5 bâtiments préfabriqués. Les images de l’ORTF insistent sur la modernité des lieux : cabine téléphonique, mobilier en formica… Le confort, en revanche, à l’air plutôt sommaire même s’il convient bien entendu de le relativiser et de comparer cette situation avec ce qui peut prévaloir, à la même époque, dans le reste de la péninsule armoricaine. Néanmoins, l'habitat ne s’arrange pas avec le temps et, autant le dire de suite, la précarité succède rapidement au provisoire.

Cet accueil de familles harkies dans la région de Vannes doit par ailleurs être replacé, sur un strict plan quantitatif, dans l’histoire plus globale du rapatriement en France de ces forces supplétives. Au maximum, la cité des Ajoncs héberge, en 1966, 31 familles, soit 186 personnes dont 118 enfants. Ce n’est donc qu’une toute petite goutte d’eau à l’échelle des 91 000 Harkis rapatriés en France entre 1962 et 1968. Alors, certes, on pourra toujours objecter que la Bretagne n’est que peu une terre d’immigration. Mais elle a déjà par le passé reçu sur son sol des cohortes de réfugiés bien plus nombreuses. Il n’y a qu’à penser aux 21 000 Espagnols qui transitent par la région entre 1937 et 1939. En remontant plus loin, on peut même revenir à l’été 1914 et aux dizaines de milliers de Belges et de Français des départements du nord fuyant l’avancée des troupes allemandes.

Dans un camp de harkis. Collection particulière.

Toujours est-il que la cité des Ajoncs se révèle n’être qu’un lieu transitoire pour la majorité des familles. Dès 1966, quelques harkis obtiennent des logements HLM. En 1970, seules 8 familles demeurent toujours dans le village. Enfin, en 1981, le dernier habitant quitte les lieux. L’association cesse d’exister. Le terrain est vendu et les bâtiments, en mauvais état, sont détruits. Pour autant, il faut se garder de ne voir qu’un échec dans cette (courte) expérience. En effet, 27 familles sont restées vivre dans le Morbihan. Et puis, les efforts d’insertion sociale et professionnelle menés par l’association auprès des harkis (dispensaire, école, cours de langue pour les parents…) ne peuvent que mener à une sortie de la cité communautaire des Ajoncs pour aboutir à une intégration dans le reste de la société morbihannaise. Un demi-siècle plus tard, demeurent néanmoins les souvenirs de ces habitants qui n’étaient alors dans la plupart des cas que des enfants. Une mémoire qui s’incarne désormais dans une plaque commémorative apposée au lieu-dit la Terre rouge le 25 septembre 2018.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « Inauguration d'un village de harkis à Saint-Avé [Muet] », Bretagne actualités - ORTF, 16 juin 1964, en ligne.