Messali Hadj en résidence surveillée à Belle-Île

Belle-Île porte assurément bien son nom et est, à n’en pas douter, un magnifique caillou jeté dans la mer, dans le prolongement de la presqu’île de Quiberon, comme une sorte de porte en schiste protégeant l’accès au golfe du Morbihan. Plages de rêve et eaux cristallines ne doivent toutefois pas tromper et éluder la riche histoire carcérale des lieux. Pendant longtemps colonie pénitentiaire, autrement dit sorte de bagne pour enfants, l’île « héberge » en 1958 le leader nationaliste algérien Messali Hadj, alors qu’au même moment la France sombre dans une grave crise de régime sur fond, justement, d’aggravation de la situation de l’autre côté de la Méditerranée1.

Belle-Île, l'entrée du port du Palais. Carte postale. Collection particulière.

La présence de ce pionnier du combat pour l’indépendance de l’Algérie ne doit rien au hasard. C’est en effet par un arrêté des autorités françaises datant du 24 mars 1956 que Messali Hadj est envoyé à Belle-Île, malgré les vives réserves exprimées par le préfet du Morbihan qui ne juge pas le choix de ce lieu très opportun. Ajoutons d’ailleurs qu’il ne s’agît pas du premier hôte de marque que reçoivent les Bellilois puisqu’à la suite de la révolution de 1848 sont détenus à la citadelle surplombant Le Palais Auguste Blanqui et Armand Barbès, figures révolutionnaires du XIXe siècle. De ce point de vue, la confrontation des parcours n’est pas sans délivrer un savoureux clin d’œil.

Mais c’est dans une villa, dénommé La Lorraine, qu’est d’abord assigné à résidence Messali Hadj. Malgré l’intitulé flatteur de ce domicile, les conditions de détention sont aussi réelles qu’éprouvantes. La surveillance policière est constante et le détenu n’est aucunement libre de ses mouvements. Il ne peut sortir que deux heures par jour, et encore, sous bonne garde. Toutefois, ceci n’empêchera manifestement pas les iliens de garder une bonne image de ce résident si particulier, qu’ils surnomment « Le Fellagha ».

Déjà âgé puisqu’approchant de 60 ans – il est né en 1898 à Tlemcen, en Algérie – Messali Hadj souffre de ce séjour dans une villa vétuste, sans électricité, dotée d’un chauffage défaillant et, plus grave encore, ouverte aux quatre vents. Les risques qui pèsent sur la santé de ce prisonnier politique, et l’opprobre générale qui ne manquerait pas de s’abattre sur la France en cas de décès, poussent donc les autorités à agir et à le transférer, le 16 janvier 1958, dans une autre demeure, dénommée Les Liserons. Aussi, c’est dans des conditions d’hébergement nettement plus favorables que Messali Hadj vit sa dernière année de « prisonnier de la mer », la si tumultueuse année 1958. Il est en effet libéré le 17 janvier 1959 et quitte, définitivement, Belle-Île pour Chantilly, après 33 mois de résidence surveillée en terre bretonne.

Messali Hadj lors de sa libération, le 17 janvier 1959. Photographie publiée le 19 janvier 1959 par La Libérté du Morbihan. Arch. dép. Morbihan: 922 w 116.

La présence de Messali Hadj dans cette île située au large de la péninsule armoricaine dit bien tout l’intérêt d’un regard décentré, et en l’occurrence par la Bretagne, sur l’année 1958. La guerre d’Algérie n’a à l’évidence pas une grande intensité en Morbihan et l’on peut sans doute, à ce titre et sans trop de risques d’erreur, qualifier ce département de « tranquille », comme l’est du point de vue des autorités le Finistère. Pour autant, cette apparence ne doit pas induire en erreur. Bien que lointains, les « événements » sont assurément présents et dans tous les foyers ayant un appelé parti en Algérie, on tremble au quotidien. Exceptionnelle, la présence à Belle-Île de Messali Hadj dit d’ailleurs bien la faculté du conflit à pénétrer le moindre recoin de l’espace hexagonal, y compris dans ses dimensions les plus intestines. En effet, si le leader algérien est interné dans l’île bretonne, c’est aussi pour le protéger des partisans du FLN qui cherchent à le liquider.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

 

1 Pour de plus amples développements on renverra à MELCHIOR, Hugo, « Messali Hadj. Le prisonnier de la mer (1956-1959) », in LE GALL, Erwan et PRIGENT, François (dir.), C’était 1958 en Bretagne. Pour une histoire locale de la France, Rennes, Editions Goater, 2018, p. 257-277.