René Pleven dans la crise du 13 mai 1958. Un bref retour au pouvoir

Bras droit du général de Gaulle à Londres et véritable n° 2 de la France libre, René Pleven qui a des attaches familiales à Dinan (Côtes-du-Nord), y entreprend une carrière politique comme député en 1945 tout en étant ministre des gouvernements de 1944 à 1946. Président de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) de 1947 à 1953, un parti charnière indispensable aux majorités de troisième force, René Pleven revient au gouvernement en 1949 et s’impose comme président du Conseil, chef du gouvernement, à deux reprises en 1950-1951 et 1951-1952. À l’issue des élections législatives de 1951, son second gouvernement glisse vers la droite puisque les socialistes SFIO n’y participent plus. Et, de 1952 à juin 1954, le député de Dinan est l’un des principaux piliers des gouvernements de droite comme ministre de la Défense nationale au moment où la France s’enlise dans les rizières d’Indochine. La défaite de Dien Bien Phu écarte Pleven de formations gouvernementales recentrées vers la gauche, celles de Pierre Mendès France (1954-1955) puis du Front républicain de Guy Mollet (1956-1957). François Mitterrand, le rival et successeur de Pleven à la tête de l’UDSR, prend le relais en occupant des ministères importants.

Au centre, probablement à Dinan à la sortie de la messe, René Pleven. Sans date. Carte postale. Collection particulière.

Conscient des risques que la guerre d’Algérie et les crises ministérielles à répétition font courir à la IVe République, René Pleven revient dans le jeu politique lors de la chute de Guy Mollet en mai 1957 : le président Coty lui confie une mission d’information en vue de former un gouvernement allant de Mollet (SFIO) à Pinay (Indépendants paysans). Mais, sentant que la situation n’est pas mûre, Pleven refuse de tenter de former lui-même le gouvernement. Deux crises ministérielles plus tard, après la chute du gouvernement de Félix Gaillard le 15 avril 1958 provoquée par l’internationalisation du conflit algérien consécutif au bombardement de Sakhiet en Tunisie (le 8 février), le pays se trouve privé de gouvernement pendant près d’un mois. Le 26 avril, pour la 3e fois en un an, le président Coty charge René Pleven de former un nouveau gouvernement de type troisième force. La politique algérienne est au cœur de la crise. Pourtant, comme le souligne l’historien René Rémond, une « course de lenteur » s’engage, notamment dans l’attente du 2e tour des élections cantonales. Pleven n’accepte que le 29 avril de formaliser ses démarches auprès des partis. La SFIO est disposée à le soutenir mais sans participer. L’agitation monte en Algérie. La formation paraît bouclée mais, pour rassurer l’armée et les colons, Pleven propose le ministère de la Défense à l’un des quatre mousquetaires de « l’Algérie française », le député de Nantes André Morice, leader d’une dissidence radicale. Dès lors, le Parti radical-socialiste dirigé par Pierre Mendès France refuse toute participation si bien que René Pleven jette l’éponge le 8 mai. Le jeu de massacre continue : on passe d’une crise gouvernementale classique à une véritable crise de régime que Pleven avait d’ailleurs annoncée le 2 février 1958 devant le congrès de l’UDSR des Côtes-du-Nord : « Si la République ne se réforme pas, l’aventure est au coin de la rue ».

C’est ce qui advient le 13 mai à Alger où militaires et Algérois en colère, aiguillonnés par des émissaires gaullistes, occupent les lieux de pouvoir. Sous la pression de l’émeute algéroise, le gouvernement de Pierre Pflimlin, un républicain populaire (MRP) libéral, est investi par 274 députés grâce à l’abstention des 137 communistes contre 129 opposants (gaullistes et indépendants de droite). « Par devoir », René Pleven accepte le ministère des Affaires étrangères tout en sachant que les activistes algérois sont hostiles à toute solution diplomatique du conflit algérien. Le 14 mai, il presse ses collègues de prendre des décisions urgentes et énergiques sur l’Algérie faisant preuve, selon René Rémond, « d’un sens politique averti ». Le 17 mai, il n’écarte pas la possibilité d’un complot antirépublicain tramé sur les deux rives de la Méditerranée mais en même temps il met en garde contre le danger d’un coup de force communiste, comme Guy Mollet d’ailleurs, alors que le PCF appelle à défendre la République. Pendant quinze jours, Pleven assiste aux premières loges à la paralysie de l’administration et à la déliquescence du régime. Le 24 mai encore, le jour de l’opération de parachutistes en Corse, il prône la fermeté dans son Petit Bleu des Côtes-du-Nord appelant le gouvernement à maintenir l’ordre en métropole et à ne pas céder aux militaires et aux activistes d’Alger. Le 20-21, il s’efforce de bloquer une intervention de l’armée en Tunisie et pour ce faire prend contact avec l’entourage du général de Gaulle, ce qui conduit les militaires à annuler ces opérations.

René Pleven, alors ministre de la Défense, en visite à Sidi Bel Abbès en 1953. Collection particulière.

De Gaulle accélère le processus de retour au pouvoir qu’il a engagé depuis le 15 mai. Informé par des sources algéroises de la préparation de l’opération Résurrection, une intervention armée des militaires sur la métropole, Pleven n’est pas prêt à risquer une guerre civile pour défendre un régime politique moribond. Le 27 mai, il appuie Pierre Pflimlin qui est disposé à démissionner pour ouvrir la voie au général de Gaulle, à condition que ce dernier respecte les formes parlementaires : être investi par l’Assemblée nationale. Comme la plus grande partie de la classe politique française et de l’opinion, René Pleven se rallie les 27 et 28 mai à la solution de Gaulle. Le 31 mai, c’est François Mitterrand qui, au nom de l’UDSR, rencontre le président du Conseil pressenti et il s’oppose vivement au général de Gaulle. Lors de la réunion du groupe parlementaire UDSR-RDA (Rassemblement démocratique africain) qui suit, grâce aux députés d’Outre-Mer inscrits au groupe, René Pleven redevient majoritaire par 12 voix sur 17. Il défend le vote d’investiture du général de Gaulle contre François Mitterrand qui se pose en opposant déterminé au chef de la future Ve République. Le 1er juin, Pleven et 9 députés UDSR-RDA votent pour de Gaulle contre trois opposants signant de fait la fin de l’UDSR. Son ralliement à de Gaulle, puis aux institutions de la Ve République, n’est nullement un blanc seing du Français libre à son ancien chef. Dans son éditorial du Petit Bleu des Côtes-du-Nord du 7 juin 1958 et dans une explication de vote très argumentée, le centriste René Pleven réaffirme ses convictions républicaines, rappelle qu’il a refusé de participer au Rassemblement du Peuple Français (RPF), le parti gaulliste, et précise son état d’esprit : j’ai voté « avec un serrement de cœur que je ne dissimule pas, car on pouvait espérer voir le Général de Gaulle sortir de sa longue retraite dans des conditions totalement différentes ». Le ténor de la IVe République rentre sur ses terres bretonnes sachant que son retour au gouvernement n’est pas pour demain.

Christian BOUGEARD

 

 

 

 

Pour de plus amples développements, on se rapportera à BOUGEARD, Christian,   René Pleven. Un Français libre en politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1995.