Aux sources de l’artiste combattant ? Auguste Nayel

Quiconque connait Lorient, ne serait-ce que par les travées du célèbre Festival interceltique, a déjà entendu parler d’Auguste Nayel. Celui-ci est en effet difficilement contournable puisqu’une rue très fréquentée de la sous-préfecture du Morbihan porte son nom, de même qu’un parking souterrain bien pratique. Pourtant, rares sont celles et ceux qui, aujourd’hui, pourraient dire qui est Auguste Nayel. Cette amnésie en amènerait presque à se demander pourquoi cet artiste tient, aujourd’hui encore, une place si importante dans la géographie symbolique du port breton.

Détail d'un meuble sculpté par Auguste Nayel. Musée départemental breton / Wikicommons.

La première explication qui vient à l’esprit est, naturellement, le talent de ce sculpteur renommé né le 16 mai 1845 à Lorient. Entré à 14 ans à l’Arsenal, il débute sa carrière en tant qu’ouvrier sculpteur dans la Marine avant de partir pour Angers où il poursuit son apprentissage et suit les cours des Beaux-Arts auprès du maître Jules Dauban. En 1875, c’est la consécration avec une participation au prestigieux Salon. Travaillant aussi bien le bois que le marbre ou le bronze, il est un artiste complet qui maîtrise tous les styles : classique, réaliste ou plus fantaisiste. Sans surprise, il rencontre rapidement un succès certain et ne tarde pas à répondre à de  nombreuses commandes : Brest, Angers mais aussi Lorient s’enorgueillissent d’accueillir une de ses œuvres.

Auguste Nayel est en effet indissociable de sa ville, Lorient, et plus globalement de sa région, la Bretagne. Lors de ses obsèques, sa faculté à observer les marins, qui en fait d’une certaine manière une sorte d’émule avant l’heure de Mathurin Méheut, est ainsi particulièrement louée. Son œuvre la plus célèbre est d’ailleurs cette fontaine de Neptune qui, à partir de 1876, trône en plein cœur de Lorient, à l’intersection des rues du Morbihan, actuellement maréchal Foch, et Paul Bert. Sculptant la Bretagne et les Bretons, Auguste Nayel est aussi le formateur de nombreux artistes. Enseignant au lycée de Lorient, jusqu’à sa retraite en 1907, il est également en charge des cours municipaux de dessin. Enfin, Nayel devient, en 1887, le premier conservateur du Musée des Beaux-Arts de Lorient ce qui achève d’en faire une figure centrale : sculpteur, il forme des artistes et participe à la valorisation de leurs œuvres. S’il s’agissait d’économie, on parlerait de concentration verticale.

Mais, et c’est là une dimension essentielle pour comprendre sa postérité, la vie d’Auguste Nayel dépasse de très loin les frontières de la péninsule armoricaine puisqu’il parvient à faire la synthèse de la dévotion à la petite et à la grande patrie. C’est ainsi qu’en 1870 on le retrouve en tant que sergent-major, puis en tant que lieutenant, au 1er bataillon du 31e régiment de gardes-mobiles, pendant le siège de Paris. Loin d’être anecdotique, ce passage est rappelé avec insistance lors de ses obsèques, le 18 mars 1909. Cinq ans seulement avant la Grande Guerre, il n’est pas interdit d’y voir les racines de la figure de l’artiste combattant, d’une certaine forme de prémonition de ce qui sera l’engagement de bon nombre d’intellectuels au service de l’effort de guerre.

La Fontaine de Neptune scupltée par Auguste Nayel à Lorient. Carte postale. Collection particulière.

Patriote donc, Auguste Nayel est aussi, et cela est extrêmement important pour comprendre sa postérité, compatible avec le régime, comme en témoignent ses excellentes, et longues, relations avec la municipalité de Lorient. Ce républicanisme sans faille est d’ailleurs récompensé par les Palmes académiques et la rosette d’Officier de l’Instruction publique. Certes, l’une de ses œuvres les plus emblématiques est une Vierge colossale érigée en 1876 à Chenillé-Changée, dans le Maine-et-Loire. Mais il s’agit en fait moins d’un édifice religieux, forcément difficilement compatible avec l’anticléricalisme régnant alors, que d’une manière de commémorer la guerre de 1870 et, plus exactement encore, l’avancée maximale des Allemands. Dans la France très patriote, pour ne pas dire nationaliste, de la Belle époque, cette évocation subliminale de l’Année terrible et de la perte de l’Alsace-Lorraine ne peut pas passer inaperçue.

Erwan LE GALL