La libération de la poche de Lorient, 20 ans après : entre mémoire immédiate et discours patriotique

« C'était il y a 20 ans. Et pour que les yeux de […] tous les enfants de 1965 rient, pour que les lendemains chantent vraiment, ils étaient 12 000 maquisards, 12 000 résistants qui ont lutté pendant 10 mois dans cette poche de Lorient jusqu'à la reddition des 24 569 soldats allemands qui disposaient pourtant d'un matériel et d'une artillerie largement supérieure à celle de la Résistance […] »

En ce 7 mai 1965, les habitants d’Etel commémorent la libération de la poche de Lorient, une vaste zone de repli des forces allemandes commandées par le général Farmbacher qui s’étend de l’estuaire de la Laïta à l’ouest, jusqu’aux falaises de la rivière d’Etel à l’est, et englobe la presqu’île de Quiberon ainsi que les îles de Groix et Belle-Île. Lorient, qui abrite une très importante base de sous-marins allemands, devient  une forteresse assiégée. C’est cette histoire qu’entend relater, non sans certains biais extrêmement intéressants, un reportage de l’émission Bretagne actualités de l’ORTF, programme diffusé donc le 7 mai 1965.

Sur le front d'Etel, septembre 1944. Musée de Bretagne: 990.0032.837.

C’est à la mi-août 1944, alors que la Bretagne est en passe d’être totalement libérée (à l’exception donc des poches de Brest, Lorient et Saint-Nazaire), que près de 26 000 soldats allemands coupent ce bout de territoire breton du reste de l’hexagone en minant les ponts et les voies d’accès existantes. 20 000 civils se trouvent « prisonniers » dans la poche de Lorient : ce sont les « empochés ». A l’inverse de Brest, où les Américains prennent d’assaut la ville après 45 jours de pilonnage par l’artillerie, c’est à 18 bataillons de F.F.I. que revient la tâche de libérer la sous-préfecture du Morbihan.

Parmi ces combattants, un homme – le capitaine Albert de son nom de Résistant – se souvient 20 ans plus tard du jour de la libération de la poche :

« C’est ce jour-là, le 7 mai, aux environs de 15 heures, un bateau a traversé la rivière d'Etel pour se rendre au Magouër. A bord de ce bateau, il y avait le colonel Joppé et les officiers de son Etat-major qui représentaient le général Borgnis-Desbordes, le commandant de la 19e DI. Il était accompagné du colonel Keating, représentant le général Kramer, commandant la 66e ID US, c'est-à-dire côté américain. »

Après plusieurs heures de négociations, autour d’une table du Café breton à Etel, le cessez-le-feu est signé, pour prendre effet le lendemain à 10h. En apprenant la nouvelle, le capitaine Albert se rappelle que

« notre sentiment, c'était un sentiment de joie. On avait l'impression... on avait la certitude que c'était terminé […] Le sens de notre combat, c'était surtout la Libération de notre pays et de retrouver, pour l'ensemble des Français, la liberté. »

Alors que la capitulation du Troisième Reich est signée le 7 mai à Reims et le 8 mai à Berlin, la cérémonie officielle de reddition des troupes allemandes de la poche de Lorient intervient le 10 mai « à Caudan, dans une prairie où on a érigé un monument ».

20 ans plus tard, la commémoration de la capitulation de la poche de Lorient, et par extension de cette phase très particulière de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, ne manque pas d’interpeller. La bataille est en effet indissociable de son récit, qui est une manière de la prolonger. Or, en l’occurrence, il est difficile de ne pas remarquer combien les ordres de grandeur qui sont suggérés, en termes de troupes et de matériel, sont suggestifs : certes on enregistre un rapport du simple au double dans les effectifs mais dans un contexte général qui est au fur et à mesure que les semaines s’égrènent de plus en plus défavorable au Reich. Il faut donc clairement dissocier la réalité historique du discours, la mémoire, qui émane de cette cérémonie. Intéressant est à cet égard la place qu’accorde le reportage de Bretagne actualités au témoignage de la jeune Marie-Thérèse. Cette enfant, née probablement à la fin des années 1950, joue devant la caméra le Chant des partisans à l’accordéon. Un chant, qu’elle appelle « de la Libération ». Quand le journaliste lui demande « pourquoi est-ce qu'il n'y a pas d'école demain [8 mai 1965] ? » elle répond : « parce que c'est la fête de la capitulation allemande de la poche de Lorient. » Et le reporter d’ajouter : « Oui, c'est aussi la fête de la victoire de 1945 ».

Carte postale. Collection particulière.

A travers les mots de cette enfant, on comprend le poids de la mémoire immédiate transmise par les acteurs de cet événement auprès des jeunes générations qui n’ont pas connu la guerre. Mais contrairement à ce que suggère Bretagne actualités, cette commémoration est loin de relever d’un particularisme local. Car, en mettant sur un pied d’égalité forces françaises et allemandes dans cette bataille de la poche de Lorient, et ceci contre la dynamique générale du déroulement du conflit dans sa  dimension européenne, le reportage réaffirme plus ou moins inconsciemment la place de Paris parmi les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. En plein « mythe résistancialiste », il s’agit bien de rappeler que la France 1940-1944 est celle de l’armée des ombres, voire de Londres puis d’Alger. En d’autres termes, la mémoire fait ici comme bien souvent œuvre d’écran de fumée pour servir un discours patriotique qui ne saurait être confondu avec l’Histoire, discipline par nature critique.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « Commémoration à Etel », Bretagne actualités, ORTF, 07/05/1965, en ligne.