Faites vos jeux : qui sera le prochain président ?

Durant l’Entre-deux-guerres, la presse bretonne raffole des jeux concours qu’elle propose régulièrement à ses lecteurs. Parmi les thèmes les plus surprenants, il y a peut-être celui lancé fin octobre 1918 par Le Nouvelliste du Morbihan et qui a pour objectif de deviner « quelle est la date précise du jour qui marquera la fin des hostilités ? »1. Bien souvent les lots proposés sont modiques même si, en 1918, le quotidien lorientais promet quand même un bon de la Défense nationale d’une valeur de 300 francs à « celui ou ceux » qui trouveront la bonne réponse. Sans surprise, les élections présidentielles se prêtent parfaitement à cet exercice et, pour l’historien, les résultats ne sont pas sans intérêt. Ils viendraient en quelque sorte sonder l’opinion des Français puisque, rappelons-le, sous la IIIe République, l’élection se déroule au suffrage indirect, et que la première enquête d’opinion n’est réalisée qu’avec les accords de Munich. Mais dans quelles mesures ces mesures sont-elles fiables ?

Gaston Doumergue, le Président de la République sortant en 1931. Carte postale. Collection postale.

Dans la première moitié du XXe siècle, le scrutin présidentiel suscite de plus en plus l’intérêt des Français comme le démontre le traitement médiatique de la victoire de Paul Doumer en 1931. Certains y voient l’équivalent d’une compétion sportive avec ses favoris, ses retournements et son vainqueur. Dans cette perspective, L’Echo de L’Ouest, un jeune quotidien lancé en septembre 1929 à Lorient, décide de lancer les paris. Le 1er mai 1931, alors qu’il vient à peine d’annoncer la clôture des deux précédents concours – celui des « Petits Noms », et celui en lien avec la course cycliste du « Circuit du Morbihan » – le journal annonce l’ouverture du « concours du président de la République »2.

Tous les abonnés peuvent y participer à condition d’envoyer leur bulletin entre le 1er mai et le 12 mai. La règle du jeu est limpide: il faut répondre à une question unique « Qui sera élu président de la République au prochain congrès de Versailles ? ». Mais si le principe est simple, le choix l’est moins dans la mesure où les candidats ne sont pas tous identifiés. Pour orienter le choix des lecteurs, L’Echo de L’Ouest délivre « quelques renseignements » en proposant une liste de « candidats possibles ». On y trouve par exemple Paul Doumer, le président du Sénat, Pierre Laval, le président du Conseil, Aristide Briand, le ministre des Affaires étrangères ou encore – ce qui est plus surprenant – le président sortant Gaston Doumergue puisque « pressé, sollicité de toutes parts, [il] pourrait bien accepter de se représenter ».

Afin de  départager les mieux inspirés, le quotidien demande de répondre à cinq questions subsidiaires : « Combien obtiendra-t-il de voix au dernier tour du scrutin ? », « Combien y aura-t-il de tours de scrutin ? » ou encore « Quel sera le chiffre total des suffrages exprimés au dernier tour du scrutin ? ». Surtout, pour motiver les joueurs, L’Echo de L’Ouest promet des lots permettant de « devenir millionnaire »3. Les trois premiers se voient en effet offrir des « bons de l’Exposition coloniale », un cadeau d’actualité puisque celle-ci s’ouvre au même moment à Paris.

Carte postale. Collection postale.

Trois semaines après l’annonce des résultats de la présidentielle, L’Echo de L’Ouest annonce enfin l’identité des heureux vainqueurs. Si cette information est anecdotique, le résultat des votes l’est moins. C’est le Nantais Aristide Briand qui obtient la majorité des suffrages soit 1 649 bulletins contre seulement 321 pour Paul Doumer. Pourtant, ces chiffres sont-ils suffisant pour conclure à la popularité du prix Nobel de la Paix ? Malheureusement, ces concours ne répondent pas aux exigences statistiques nécessaires pour avoir des résultats fiables. Qui plus est, on peut légitiment se demander si les résultats ne sont pas en réalité influencés par les rumeurs qui font d’Aristide Briand le favori de l’élection. De plus, s’agit-il ici d’un vote qui correspond à la sensibilité politique du journal ou à celle de la région lorientaise ?  Ou faut-il simplement y voir une réaction chauviniste, Aristide Briand pouvait être considéré comme une sorte de régional de l'étape au vu de son parcours ? Tant de variables qui ne permettent pas, malheureusement, d’assimiler ces jeux concours à une véritable expression de l’opinion.

Yves-Marie EVANNO

 

1 « De l’Armistice à la paix », Coll., Les Morbihannais dans la guerre 14-18, Vannes, Archives départementales, 2014, p. 216.

2 « Le concours du président de la République », L’Echo de L’Ouest, 1er mai 1931, p. 6.

3 « Le concours du président de la République », L’Echo de L’Ouest, 5 juin 1931, p. 2.