Joseph Jacob, quand le celtisme rencontre le wilsonisme

Dans le flot des dizaines de milliers de Bretons qui émigrent à Paris au cours des dernières décennies du XIXe siècle et jusqu’à la Première guerre mondiale,  quelques individus émergent comme les chefs de file d’une communauté qu’ils s’emploient à souder autour de marqueurs religieux, sociaux et politiques. On peut ainsi citer l’abbé François Cadic, fondateur de La Paroisse bretonne à Paris en 1897, le docteur René Le Fur, qui créé le journal Le Breton de Paris en 1908, ou bien Jean Trémel, qui fonde le Groupe socialiste breton à Saint-Denis en 1898. Du point de vue culturel, c’est à un homme très largement méconnu que l’on doit s’intéresser : Joseph Jacob, fondateur du premier Cercle celtique à Paris et qui a su également donner une tournure plus politique, après la Grande Guerre, à son action en faveur du régionalisme breton.

Carte postale. Collection particulière.

De Joseph Jacob, on a – pour le moment – que peu d’éléments biographiques1. Tout juste sait-on, d’après François Jaffrennou, alias le barde Taldir, que Jacob est originaire de Plestin-les-Grèves2. Il y est d’ailleurs probablement né au milieu du XIXe siècle, puisqu’en 1933 il est qualifié de « retraité fonctionnaire des Finances ». On remarque, au passage, qu’il est loin de correspondre au portrait de « paria de Paris » couramment utilisé pour dépeindre les Bretons qui émigrent à Paris à cette période. Toujours d’après Jaffrennou, Jacob aurait participé à la Grande Guerre en qualité de trésorier-payeur principal aux armées, avec le grade de commandant.

Ces renseignements sont maigres mais, en revanche, nous connaissons bien son engagement en faveur de la danse bretonne et de la cause régionaliste. En 1911, Joseph Jacob est le cofondateur du premier Cercle celtique, celui de Paris. Jusqu’ici, en Bretagne, les danseurs n’étaient guère plus organisés qu’en groupes folkloriques, comme celui de Bannalec dès 1902. Il faut attendre l’après-guerre pour voir cette structuration associative de la danse bretonne s’étendre à la péninsule armoricaine. Cette précocité parisienne s’explique certainement par le besoin de fédérer la communauté au sein d’organisations et associations bien définies. Le Cercle celtique de Paris, sis au 16 rue des Ecoles, est également un lieu où l’on enseigne le breton, le gallois et l’irlandais3. En ce qui concerne Joseph Jacob, le président du cercle celtique parisien, il est bien introduit dans les milieux régionalistes bretons du marquis de l’Estourbeillon et de Camille Le Mercier d'Erm. Il est également proche de La Paroisse bretonne de l’abbé Cadic. Il participe notamment aux réunions de charité organisées par l’institution au cours de la Première guerre mondiale, comme celle du 7 mai 1916, lors de laquelle le chœur du patronage Sainte-Cécile entonna des chants comme « Honneur aux blessés » ou « Soudarded ar vro » (« Soldats du pays »).

Mais le moment de gloire de Joseph Jacob au sein du mouvement breton (emsav), c’est sa rencontre avec le président des Etats-Unis, Woodrow Wilson, le 16 mai 1919. En effet, les régionalistes bretons tentent de profiter de la présence en France du promoteur des libertés des peuples à disposer d’eux-mêmes pour plaider la cause du « peuple breton ». En ordre dispersé, le marquis de l’Estourbeillon, Camille Le Mercier d’Erm et Joseph Jacob s’adressent au président américain par courrier4. Jacob envoie une première lettre le 16 avril 1919, dans laquelle il demande audience, au moins au secrétaire de Wilson. Il se fait également lyrique :

« Ce sont les cloches celtiques qui tinteront les premières aux oreilles américaines ; c’est au promontoire granitique, berceau des marins fameux d’autrefois, que cet ébranlement économique, intellectuel et mondial viendra géographiquement expirer. Nous autres, Bretons, en concevons les meilleurs espoirs ! »

Le 8 mai, Jacob rencontre Gilbert Close, le secrétaire de Wilson, en compagnie d’une « délégation de la colonie bretonne à Paris ». Puis le 16 mai, grand jour, c’est Woodrow Wilson qu’il rencontre en personne, au palais des Champs-Elysées. En uniforme, tel que le relate Jaffrennou, Joseph Jacob tient notamment ces propos au président :

« Mes compatriotes ne se sont pas démentis au cours de la tourmente qui convulsé le monde. Marins et soldats se sont montrés dignes de leurs aïeux. Aujourd’hui tous mettent en l’application de vos principes (quant à la reconnaissance des races, au respect de leurs droits, de leur langue et de leurs traditions) leur entière espérance ! »5

Carte postale. Collection particulière.

Au sein de l’emsav, cette rencontre est d’une telle importance que pour Jaffrennou : « ce seul geste à son actif suffirait à fixer dans l’Histoire le nom d’un patriote breton ». Et il ne faut pas y voir de l’exagération tant le wilsonisme semble avoir profondément structuré les revendications régionalistes bretonnes dans l’immédiat après-guerre, qu’il s’agisse de l’ancienne génération de Joseph Jacob et du marquis de l’Estourbeillon, que l’on relègue souvent trop rapidement aux seules actions en faveur de la culture bretonne et du folklore, mais aussi de la nouvelle, comme le montre bien la création, en 1923, d’un drapeau breton, le gwenn-ha-du, très largement inspiré du drapeau américain, le Stars and Stripes, par Morvan Marchal, figure de la seconde emsav. On pourrait alors pousser la logique jusqu’à avancer l’idée que Joseph Jacob est, par cette action, la courroie de transmission entre les deux générations d’un même mouvement breton.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

 

1 Si l’un de nos lecteurs possède des éléments sur la vie de Joseph Jacob et souhaite les partager avec nous, nous serions heureux de pouvoir mettre à jour cet article.

2 JAFFRENNOU, François, « Joseph Jacob, conférencier de l’histoire de Plestin », An Oaled. Le Foyer breton, Rennes, l’imprimerie de l’Ouest, n°46, 4e trimestre 1933, pp. 302-303.

3 CALVE, Armel, Histoire des Bretons de Paris, Spézet, Coop Breizh, 1994, p. 212.

4 BOUCHARD, Carl, « "Nous nous souviendrons de vous" : lettres de Bretagne au président Woodrow Wilson », in CARNEY, Sébastien (dir.), 1917-1919, Brest ville américaine ?, Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 2018, p. 144.

5 JAFFRENNOU, François, « Joseph Jacob… », art. cit.