La jeunesse des années folles ou la décadence supposée de la société

Les années folles représentent, dans la mémoire collective, une période d’exubérance qui serait, en quelque sorte, une façon d’exorciser les terribles épreuves de la Grande Guerre. A l’époque, une partie de la population vit néanmoins ce moment comme une véritable décadence. La jeunesse, qui voit les filles se couper les cheveux à la manière des garçons, symboliserait le déclin inexorable de la société française. Dans un éditorial qu’il publie le 29 mars 1928 dans L’Ouest-Eclair, Eugène Le Breton, déjà très engagé en faveur du vote des femmes, tente de démystifier ces croyances1. D’après l’auteur, l’attitude de la jeunesse n’est pas le signe d’une société décadente mais, au contraire, d’un pays qui est en train de se reconstruire, moins de dix ans après la fin de la Première Guerre mondiale.

Représentation classique des années folles. Carte postale (détail). Collection particulière.

Dans les années 1920, une partie des élites affirme volontiers que « nos moins de trente ans, nos moins de vingt ans, ils nous déconcertent et ils nous font peur ». Ces derniers sont, du point de vue des anciens,

« ou bien des arrivistes ou bien des rêveurs stériles. Ils n'ont aucune foi, aucun enthousiasme. […] Ils sont froids, sarcastiques, personnels. […] »

Dans les campagnes bretonnes, ce discours à une réelle portée. Il faut dire que dans une région où la religion possède encore une véritable emprise, une partie de la population comprend difficilement le comportement de ces jeunes dont « la morale est de courir après leur plaisir, sans rien regarder autour d'eux ».

Si Eugène Le Breton ne le dit pas clairement, il ressort pourtant de son éditorial l’idée d’une profonde division entre les générations qui ont plus de 30 ans et les autres. Et pour cause, avoir moins de 30 ans en 1928, c’est ne pas avoir connu l’enfer des tranchées. La débauche des années folles ne serait donc pas celle des anciens combattants mais bien de leurs enfants.

Quoi qu’il en soit, l’éditorialiste rennais s’indigne du « pessimisme » de ces propos. S’appuyant sur une récente étude menée par un « éminent confrère » du Journal de Rouen, René-Gustave Nobécourt, il affirme que « le trait caractéristique de la jeunesse française » est au contraire l'inquiétude. Or, poursuit-il,

« l'inquiétude est féconde, l'inquiétude est un ferment. Elle est le contraire de l'indifférence, elle est un appel vers la clarté, un désir de trouver l'issue. »

Dans une société d’après-guerre qui évolue rapidement, la jeunesse se sentirait en effet bridée par la vieille génération qui s’accroche au pouvoir. Pour conforter son analyse, Eugène Le Breton choisit une nouvelle fois de s’appuyer sur les propos de l’un de ses confrères, le journaliste Lucien Romier. Ce dernier estime que « les jeunes générations cherchent une doctrine politique orientée vers l'avenir ». Or cette évolution semble impossible à cause de la « la politique des vieux partis, des partis attardés, la politique des combinaisons », celle que les jeunes générations « qualifient superbement d'un mot qu'elles n'ont pas inventé : le bourrage de crâne ». Bien au contraire, « la doctrine qu'ils veulent, certains jeunes l'ont trouvée, mais en dehors des vieux cadres ».

Carte postale. Collection particulière.

On peut néanmoins s’interroger sur la place réelle de ces années que l’on dit folles. En effet, si L’Ouest-Eclair est lu partout en Bretagne, il n’est pas certain que l’on trouve beaucoup de jeunes femmes affublées d’une coupe « à la garçonne » dans les campagnes du Kreiz Breizh au début des années 1920, ni à la fin du reste. Ces années sont au contraire, pour la paysannerie, une période de dur labeur et de confrontation à une situation économique difficile, que certains ont pu décrire comme relevant d’une réelle « misère agricole ». Dès lors, il y aurait tout lieu de se demander si ces années dites folles, qu’elles soient ou non conspuées du reste, ne sont pas avant tout une marque supplémentaire du fossé grandissant entre villes et campagnes.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

1 « Nos jeunes gens devant le mariage », L’Ouest-Eclair, 29 mars 1928, p. 1.