Les « crimes contre l’enfance » en 1934

L’amour des parents pour leurs enfants est, bien souvent, sans limite. Ces petits morceaux d’eux-mêmes deviennent, dès leurs naissance, le centre de leurs vies, ceux pour qui ils souhaitent le meilleur. Cette affirmation, certes peu objective, n’en demeure pas moins une réalité vécue par la majorité des parents. Dès lors, toute forme de violence infligée aux enfants paraît inconcevable. Eugène Le Breton, éditorialiste récurrent de L’Ouest-Eclair, déclare à ce propos, en 1934, qu’une « telle inversion du sentiment est quelque chose de monstrueux »1. Le journaliste dont l’engagement pour la cause des femmes et de la jeunesse est bien connu des lecteurs du quotidien breton, profite cette fois de la tribune qui lui est offerte dans le journal rennais pour sensibiliser les Bretons sur les « crimes contre l’enfance ».

Carte postale. Collection particulière.

C’est un fait divers qui inspire cette chronique à Eugène Le Breton. Le 5 novembre 1934, « la petite Simone, 11 ans, corrigée par sa mère, est relevée le nez cassé, le genou ouvert, la moitié des cheveux arrachées ». L’affaire scandalise l’opinion tant la brutalité exercée par « la bourrelle » abîme le corps de l’inoffensive fillette. Tout aussi effroyable, les médecins découvrent à l’hôpital que la jeune fille n’a jamais vu de poupée et qu’elle n’a, probablement, jamais connu l’amour maternel. Eugène Le Breton regrette que ce type « [d’]exploits navrants remplissent la chronique des journaux » durant l’entre-deux-guerres. Il prend notamment pour exemple cette « marâtre qui trempait un enfant de trois ans, Raymond Nys, dans une bassine d’eau glacé, puis le plaçait, pour le sécher, sur un radiateur brûlant ». L’issue est cette fois tragique puisque, « quelques heures plus tard », le jeune garçon est retrouvé mort.

Selon l’éditorialiste, « le crime contre l’enfant est le plus inexcusable de tous les crimes ». Partant de ce constat, il estime qu’il faudrait « une juridiction répressive » à l’encontre des parents. N’ayant pas le pouvoir de changer les lois, Eugène Le Breton se sert donc de sa plume peut sensibiliser les lecteurs à cette infâme violence. Son éditorial prend alors une tournure pédagogique. Il rappelle ainsi que dans « tout enfant, il y a un câlin, un assoiffé de caresses » et que le priver de ces moments est préjudiciable pour la société.

L’éditorialiste se demande d’ailleurs si la violence infligée aux enfants n’est pas à l’origine de « l’augmentation » de la « criminalité juvénile ». S’appuyant alors sur des auteurs tels Montaigne et Freud, Eugène Le Breton affirme « qu’un souvenir, qu’une impression d’enfance orientent une destinée ». L’équilibre de l’adulte serait en réalité en adéquation avec l’amour qu’il a reçu lorsqu’il était enfant. En conséquence, réduire la violence contre les enfants permettrait certainement de réduire la violence des adultes.

Carte postale. Collection particulière.

Fort de cette conviction, il en profite pour condamner le fonctionnement des « maisons dîtes de correction » dont la plus connue en Bretagne est certainement celle de Belle-Ile-en Mer. D’après le journaliste, ces « bagnes » ne pensent qu’à redresser par la « torture » des enfants qui, pour la plupart, ont certainement subi des violences familiales. Il serait donc plus judicieux, selon lui, de les placer dans des familles d’accueil où il recevrait l’amour maternel qu’ils recherchent tant. Bref, autant d’arguments qui interrogent la brutalité d’une société sortie meurtrie de la Grande Guerre.

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 Le Breton, Eugène, « Les crimes contre l’enfance », L’Ouest-Eclair, 7 décembre 1934, p. 1.