Quand L’Ouest-Eclair prône le droit au logement

Bien que rallié dès sa naissance à la République, L’Ouest-Eclair est un journal globalement conservateur. La Grande Guerre ne change rien à cet état de fait et le quotidien catholique rennais n’hésite pas, sitôt que les armes se soient tues, à tancer vertement la CGT ou encore à se féliciter, en août 1919, de la chute de la socialisante République des Conseils de Hongrie. Aussi, c’est donc avec un certain étonnement que l’on découvre cet organe de presse réclamer, dans son édition du 25 août 1919, « des logements pour nos officiers et sous-officiers » quitte à user de réquisitions, proposition qui n’est pas, d’une certaine manière sans faire penser au droit opposable instauré en 2007 par la loi DALO1. Pourtant, à bien y réfléchir, force est de constater que cette prise de position est plus complexe, et moins surprenante, qu’il n’y parait.

Carte postale. Collection particulière.

La question du logement n’a en effet rien de nouveau à Rennes. Depuis longtemps, le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine fait face à une pénurie que ne vient pas résoudre les initiatives prises à la Belle époque pour pourvoir notamment au logement des ouvriers. D’ailleurs, fondamentalement, la pénurie de logements n’est réglée à Rennes qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec la construction des quartiers de Villejean-Malifeu, du Blosne et de Bréquigny. On comprend dès lors que la ville soit traversée par un strict zonage social, le cossu quartier Sévigné, érigé au tournant du siècle en lotissement, n’ayant rien à voir avec les populeux faubourgs situés en lisière de la commune…

Avec la Grande Guerre et la considérable inflation qui accompagne le conflit, la situation est encore pire. Et c’est bien ce contexte nouveau qui pousse L’Ouest-Eclair à en appeler à des réquisitions « comme cela s’est produit en Alsace » ou encore à un triplement des taxations sur les loueurs, et en des termes que ne renierait pas L’Humanité. A en croire le quotidien catholique,

« la mesure serait certainement féconde en résultats. Nul n’ignore en effet qu’il existe à Rennes des maisons bourgeoises, des hôtels comprenant 12 à 20 pièces et qui ne sont occupées que pendant trois ou quatre mois de l’année. On laisserait aux propriétaires une pièce ou deux comme garde-meubles. Le reste serait loué. »

Sans ambiguïté, le propos ne doit pourtant pas ériger L’Ouest-Eclair en journal acquis aux bienfaits de la collectivisation. D’ailleurs, ce quotidien relaie le même jour, et ce fort complaisamment, le vibrant plaidoyer de Charles Oberthür, imprimeur rennais en vue ayant servi comme officier d’artillerie pendant le conflit contre la « journée de 8 heures ». A l’en croire, en effet, « le malthusianisme appliqué au travail est, aussi bien qu’à la natalité, un suicide national ».

Loin d’être anodin, ce propos donne en réalité la clef de compréhension de l’étonnant positionnement de L’Ouest-Eclair par rapport à la crise du logement qui sévit à Rennes. Tout est en effet question de rapport de forces et, en cette fin d’été 1919, période traversée par de nombreux troubles sociaux, il est une valeur qui surplombe toutes les autres, y compris le sacro-saint respect de la propriété privée, c’est celle de patrie. D’ailleurs c’est bien, à en croire le titre de l’article, de logements pour les officiers et les sous-officiers de l’armée française revenus des tranchées dont il s’agit ici. Et le journaliste – anonyme – de fustiger, en des termes qui ne sont pas sans faire penser au discours sur les profiteurs de guerre2, « cette spéculation sur de braves gens qui se sont fait, pour nous, pour vous, casser…la figure ».

Carte postale. Collection particulière.

Toutefois, pour saisir la pleine mesure de ce propos, il convient sans doute d’aller au-delà de ces bons sentiments et de se demander, au final, quelles sont les véritables intentions du quotidien breton en publiant cet article. Car il convient de ne pas s’y tromper. L’Ouest-Eclair n’est pas un journal professionnel, s’adressant aux sous-officiers et officiers, qu’ils soient de carrière ou non, et destiné à participer à la sauvegarde de leurs intérêts. Il s’agit d’un titre généraliste, au très large lectorat. Dès lors pourquoi un tel plaidoyer ? Ne faut-il pas y voir un subtil appel à la construction de logements, seul moyen de résoudre la crise et de faire baisser le prix des loyers ? Car, en y réfléchissant bien, L’Ouest-Eclair fait montre sur cette question d’une réelle habileté. En effet, le journal agite le spectre du péril collectiviste – à la manière donc d’un repoussoir – tout en flattant le sentiment patriotique et la dette morale contractée envers ceux qui sont alors en train de devenir des anciens combattants.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « Des logements pour nos officiers et sous-officiers », L’Ouest-Eclair, 21e année, n°7 287, 25 août 1919, p. 4.

2 Sur la question se rapporter à BOULOC, François, Les Profiteurs de guerre 1914-1918, Bruxelles, Editions Complexe, 2008.