Une tempête de papier ?

Le titre figurant à la une de l’édition du 30 décembre 1929 de L’Ouest-Eclair est résolument anxiogène : « Une tempête d’une extrême violence s’est déchaînée pendant la nuit de Dimanche »1. Celle-ci n’est pas financière, quelques semaines seulement après le redoutable effondrement boursier d’octobre 1929, mais bien météorologique. Pourtant, une chose frappe d’emblée quiconque lit ce numéro du grand quotidien breton : malgré une formulation alarmiste, pour ne pas dire sensationnaliste, le titre n’occupe qu’une des 6 colonnes du journal, et ce de manière incomplète. Plus intéressant encore, l’essentiel de l’information est traité en pages intérieures, à la rubrique locale, ce qui paraît étrange pour une nouvelle transmise sur un ton d’une telle gravité.

Carte postale. Collection particulière.

Que l’ouest de la France, et la Bretagne plus encore, soit frappé par une tempête, surtout en hiver, n’a après tout rien d’étonnant et ne constitue en aucun cas une nouvelle. Déjà, cinq ans plus tôt, la conjonction d’un fort coup de vent et d’une marée haute d’un important coefficient avait eu de redoutables conséquences pour de nombreuses communes du littoral, située en première ligne de la colère d’Eole et de Poséidon2. En avril 1911, le phare de Kerdronis, à Belle-Ile, est le lieu d’un affreux drame, alors que sévit une redoutable tempête. Les exemples de fortunes de mer causées par des conditions météorologiques extrêmes pourraient ainsi être multipliés à foison pour démontrer une évidence : en Bretagne, le climat, et tout particulièrement le vent, peut se montrer rude, notamment en hiver.

Dès lors, pour comprendre pourquoi L’Ouest-Eclair se pare dans son édition du 30 décembre 1929 d’un titre aussi alarmiste, il importe de revenir aux conditions même de la fabrique de l’information. La chose peut en effet sembler curieuse pour un quotidien régional paraissant dans l’ouest de la France mais ce sont les conséquences de la tempête à Paris qui sont évoquées en premier. Pourtant, à en croire le journal rennais, celles-ci ne sont pas si catastrophique que cela. Malgré la « fureur » du vent, les dégâts demeurent relativement modestes : « des palissades étaient arrachées, des tuyaux de cheminées s’envolaient et les branches d’arbres jonchèrent bientôt les avenues ». Curieux, un tel choix éditorial s’explique aisément. Point d’éternel prima de la capitale sur la province ici mais une réalité technique concrète : en plaçant Paris en première page, L’Ouest-Eclair peut disposer de la même une dans ses trois éditions du jour (Rennes, mais aussi Nantes et Caen), et réaliser ainsi de substantielles économies d’échelle.

La logique commerciale ne s’arrête d’ailleurs pas là. En pages intérieures, le titre est tout aussi aguicheur – « Une violente tempête ravage de nouveau notre région » – et contraste singulièrement avec le corps de texte, s’étalant sur six colonnes. Les dégâts paraissent en effet bien dérisoires. A Fougères, c’est un arbre qui tombe sur des fils électriques et occasionne une panne qui « ne dura heureusement pas longtemps ». A Saint-Malo, un des clochetons de la cathédrale menace de s’effondrer à cause du vent et un voilier rompt ses amarres dans le port. A Lorient, des tombes sont brisées par la chute d’un arbre tandis qu’à Douarnenez un mareyeur déplore de lourds dégâts infligés à un vivier contenant… 1000 kilos de langoustes. Partout, le journal signale des toitures abimées mais, au final, rien de bien extraordinaire.

Carte postale. Collection particulière.

Alors pourquoi une telle ligne éditoriale ? La réponse est sans doute à chercher dans le contexte dans lequel paraît ce journal, c’est-à-dire entre noël et le jour de l’an, à une période où l’actualité, tant internationale que nationale et locale, est plutôt légère. Pourtant, même en cette période, L’Ouest-Eclair doit pouvoir payer ses journalistes et est tributaire de ses chiffres de vente. Quitte parfois à enjoliver l’actualité… et à faire dans le sensationnel le plus outrancier. Mais ce numéro n’en demeure pas moins d’un grand intérêt pour l’historien puisqu’il rappelle qu’une information est indissociable du contexte qui la produit. Y compris, et peut-être même surtout,  lorsqu’il s’agit des caprices du ciel.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « Une tempête d’une extrême violence s’est déchaînée pendant la nuit de Dimanche », L’Ouest-Eclair, 31e année, n°10 290, 30 décembre 1929.

2 Sur la question se rapporter au remarquable VINCENT, Johan, Raz-de-marée sur la côte atlantique. 1924, l’autre Xynthia, Saintes, Le Croît Vif, 2015.