La Grande Guerre et l’Armistice par les objets

La perspective du centenaire de la fin de la Grande Guerre suscite bien entendu une intense production éditoriale et certains éditeurs n’hésitent pas à republier des ouvrages pas ou difficilement trouvables car épuisés. La réédition des Soldats languedociens de Jules Maurin constitue à cet égard l’exemple parfait de ce mouvement vertueux, consistant à reproposer au public des textes essentiels mais devenus difficilement accessibles. Il n’est toutefois pas certain que le volume consacré à l’Armistice du 11 novembre 1918 que ressortent les éditions Gourcuff Gradenigo participe de cette même logique . Pour autant, l’exercice n’est pas dénué d’intérêt. Bien au contraire.

Le wagon de commandement du maréchal Foch. Carte postale des années 1960. Collection particulière.

Le constat s’impose d’ailleurs de lui-même tant il est évident que la formule même de l’ouvrage est toujours d’actualité : présenter à partir d’objets ce que fut la Grande Guerre et proposer, par la même occasion, une porte d’entrée vers la compréhension de ce conflit. Très richement illustré et bénéficiant de la richesse des collections d’institutions aussi diverses que le Musée de la Marine, l’ECPAD ou le Service historique de la Défense, le livre est très agréable à parcourir. Il fourmille de surcroît de raretés comme cette bombe incendiaire tronconique, projectile composé d’une série d’enveloppes métalliques contenant des  substances incendiaires enrobées de bitume » (p. 51).

Mais là n’est sans doute pas le plus intéressant. Dans la préface de l’ouvrage, le vénérable Antoine Prost souligne bien malgré-lui les progrès accomplis par l’historiographie. Ainsi, si en 2008 la question de la psychiatrie de guerre est neuve (p. 13), elle est aujourd’hui bien balisée grâce notamment aux travaux de Marie Derrien et Stéphane Tison. C’est d’ailleurs l’histoire de la psychiatrie elle-même, et pas uniquement pour la période 1914-1918, qui est en plein renouvellement et on se doit de citer à cet égard des historiens comme Benoit Majerus ou Anatole Le Bras, qui vient de publier une remarquable vie de Paul Taesch, malade qui est notamment interné à Quimper. Autrement dit, ce sont bien les progrès de l’historiographie de ces dix dernières années qui, de manière subreptice, se donnent à voir au fil de ces pages.

Classique, le volume invite aussi à nuancer l’idée selon laquelle la Grande Guerre engendre un bon unanime dans la modernité, y compris du point de vue artistique. Bien entendu il y eut les cubistes et les surréalistes mais à côtés des Picasso et autres André Breton existent aussi des François Flameng au style parfaitement classique (p. 14 et 126). Alors, certes, l’impact de cet artiste populaire sur l’histoire des représentations picturales est sans doute moindre que celle d’un Otto Dix mais sans doute est-ce François Flameng qui, au cours du conflit et dans les années qui suivirent, est le plus rentré dans les foyers. Semblable remarque pourrait d’ailleurs être formulée à propos de Georges Scott et, pour ne prendre qu’un exemple, sa description de l’assaut du Bois Belleau par les Marines américains (p. 105). C’est du reste sans doute bien à l’aulne de cette réalité qu’il convient d’appréhender un certain nombre d’artistes bretons au premier rang desquels figurent Mathurin Méheut et Camille Godet. L’huile de Maurice Busset représentant un combat aérien – malicieusement rehaussée pour les besoins du livre d’un portrait de René Fonck, l’As des As – est à cet égard très stimulante : si le sujet est assurément moderne, sa représentation semble l’être beaucoup moins, comme s’il s’agissait d’arrimer la scène à une longue tradition de peinture de hauts faits militaires (p. 32-33).

Carte postale. Collection particulière.

L’ouvrage est d’autant plus intéressant qu’il ne néglige nullement la Bretagne et montre même à voir quelques méconnues aquarelles de Georges Eveillard, œuvres offrant un regard précieux sur l’hôpital américain de Saint-Nazaire en 1918 (p. 90). Alors certes, il n’est pas inédit. Mais ce petit livre richement illustré mérite tout de même qu’on prenne quelques minutes pour le parcourir.

Erwan LE GALL

BEAUPERIN, Franck avec la collaboration de TABBAGH, Xavier, L’Armistice du 11 novembre 1918. Objets, documents et souvenirs du patrimoine militaire, Paris, Gourcuff Gradenigo, 2008.

 

 

 

 

 

 

BEAUPERIN, Franck avec la collaboration de TABBAGH, Xavier, L’Armistice du 11 novembre 1918. Objets, documents et souvenirs du patrimoine militaire, Paris, Gourcuff Gradenigo, 2008. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.