René Fonck, de la difficulté d’être un héros crédible

 

 

La biographie de René Fonck que D. Accoulon vient de publier aux éditions Privat semble de prime abord des plus classiques. La couverture montre le célèbre aviateur en uniforme, arborant fièrement toutes ses décorations à commencer par une croix de guerre surmontée d’un nombre incalculable de palmes. Le titre, sobre, n’en est pas moins éminemment accrocheur : « René Fonck. As des as et pilote de la Grande Guerre »1. Pour autant, il y a sans doute beaucoup plus au fil de ces quelques 400 pages enlevées que le récit d’une des figures les plus marquantes de la Première Guerre mondiale. C’est bien une réflexion sur le poids de ce conflit en tant que capital social, culturel, symbolique et politique, en d’autres termes sur l’aptitude d’un aviateur exceptionnel à se réinsérer dans la vie civile que propose l’auteur.

Fonck, l’archétype de l’As

Sans surprise, cette biographie constitue un formidable moyen de (re)découvrir René Fonck, des heures glorieuses de la Première Guerre mondiale à celles beaucoup moins héroïques de la Seconde. Chronologique, le plan n’en est pas moins efficace et permet de bien contextualiser le sujet du livre. Ainsi, la Grande Guerre de René Fonck fait l’objet de développements très intéressants, notamment en ce qui concerne les nombreuses passerelles entre le combat aérien et l’éthique chevaleresque ou le sport (p. 37 et suivantes). Sans êtes totalement neuves, ces pages présentent néanmoins l’immense avantage d’amariner le lecteur peu au fait de ces réalités aujourd’hui bien balisées par l’historiographie.

Carte postale. Collection particulière.

L’auteur maîtrise parfaitement les ressorts de l’histoire culturelle et l’ouvrage oscille sans cesse entre description de la vie de Fonck et détail des représentations du célèbre pilote, véritable figure archétypale de l’As (p. 17). Loin d’être édulcorée, celle-ci accorde d’ailleurs, et contrairement ce que l’on pourrait croire de prime abord, une place centrale à la violence et l’aviateur vosgien est ainsi dépeint « en tueur de sang-froid, invincible et méthodique, à la limite du sanguinaire » (p. 24). Autant de qualificatifs qui ne sont pas sans faire penser aux analyses de J. Beurier sur les photographies publiées par la presse2 mais qui ne doivent pas être interprétés de manière erronée : certes il s’agit d’une violence d’une rare intensité mais celle-ci est pensée comme légitime puisque que Fonck est convaincu de faire le bien en tuant ses ennemis » (p. 24). C’est là une précision à ne surtout pas omettre, sous peine de graves contresens. Ajoutons de surcroît que les origines vosgiennes de René Fonck ne rendent que plus facile la célébration de son culte (p. 30, 34…). Ce faisant, c’est bien la dimension fondamentalement idéologique de la Grande Guerre que rappelle ici l’ouvrage de D. Accoulon. Mais en même temps, comme une sorte de mouvement inverse, on prendra bien soin de noter tout ce que peut avoir de factice cette incarnation de la modernité aérienne et guerrière (p. 46 et suivantes) car Fonck ne cesse d’insister « sur la nécessité de la force morale pour anticiper le geste de l’adversaire et essayer de le prendre par surprise » (p. 165), énième avatar de la concurrence entre le choc et le feu.

On suivra bien volontiers D. Accoulon dans cette histoire de la mémoire de René Fonck, vaste mouvement de démonétisation d’un souvenir. Un point toutefois semble devoir être ajouté à l’argumentation de l’auteur. Certes, René Fonck participe « d’une démocratisation de l’héroïsme guerrier, qui voyait pour la première fois des gloires militaires qui n’étaient pas des généraux » (p. 37). Néanmoins, s’il est en France une figure qui ressort de la mémoire de la Première Guerre mondiale, statufiée du reste sur les places de [presque] toutes les communes du pays, c’est bien celle du poilu, archétype entendu comme étant un fantassin combattant dans les tranchées. Malgré son immense célébrité et tous ses titres de gloire, Réné Fonck n’en reste pas moins, de ce point de vue, relativement marginal et c’est une dimension qu’il faut là encore avoir en tête tant elle semble pouvoir être source d’erreur. On peine en effet aujourd’hui à se rendre compte de la popularité d’un aviateur comme René Fonck au sortir de la Première Guerre mondiale, y compris dans une région comme la Bretagne. Pour ne citer qu’un exemple, rappelons qu’à Cancale est armé dans les années 1920 un navire qui porte le nom de Capitaine Fonck, un 3 mats de 4 500 tonneaux armé à la Grande pêche3. C’est donc dire, par ricochet, si la biographie de cet aviateur intéresse aussi la Bretagne.

Une histoire de la déchéance

Pour autant, les fins connaisseurs du port de la baie du Mont-Saint-Michel ne manqueront pas d’objecter que Cancale arme aussi pour les bancs de Terre-Neuve un Capitaine Guynemer4. La biographie que propose Damien Accoulon révèle alors sa vraie nature, celle d’une analyse minutieuse de la véritable compétition mémorielle – à l’instar de celle qui a pu, par exemple, opposer Pierre Brossolette et Jean Moulin – où s’affrontent le pilote vosgien et l’As abattu le 11 septembre 1917.  Le paradoxe est qu’une grande part de l’aura de René Fonck vient de l’assertion affirmant qu’il est le « vengeur de Guynemer », alors qu’à en croire D. Accoulon rien n’est moins certain.

Carte postale. Collection particulière.

C’est là un point important dans le récit que donne l’auteur car il constitue, d’une certaine manière, le point de départ d’un invraisemblable piqué. « Porte-étendard d’une armée victorieuse » en 1919 (p. 63), Fonck dégringole de déveines en choix malheureux jusqu’à sa mort, le 18 juin 1953.

Mais au-delà de la trajectoire individuelle, le destin post-conflit du célèbre pilote est intéressant en ce qu’il invite à s’interroger sur la place réelle du souvenir de la Grande Guerre dans l’espace public et, ainsi, à sans doute nuancer quelques idées reçues.  Exemplaire est à cet égard sa carrière politique puisqu’il est élu en 1919 dans cette Chambre dite bleue horizon et régulièrement dépeinte comme étant l’illustration du formidable poids du conflit dans la société française du début des années 1920. Il est vrai que Fonck l’emporte sans vraiment faire campagne (p. 105 et suivantes) et en s’appuyant sur les solides réservoirs de voix que constituent les milieux anciens combattants (p. 108). Mais l’examen attentif que mène D. Accoulon de sa carrière parlementaire montre que Fonck ne parvient en réalité jamais à peser en tant que député, même sur les domaines techniques où son passé d’As lui confère a priori une expertise indiscutable. C’est bien la génération d’avant, celle qui était en politique avant 1914 et qui incarne donc une certaine professionnalisation parlementaire, par opposition à des députés envoyés siéger sur la foi de brillants états de service dans les tranchées, qui conserve les manettes de l’Assemblée, et ce faisant du gouvernement (p. 112). Ainsi l’auteur avance que (p. 123) :

« Fonck reste perçu comme un militaire peinant à prendre du galon dans le civil. Ses faibles capitaux culturels et politiques de même que ses origines modestes ont sans doute fait obstacle à l’ascension à des fonctions ministérielles. »

Certes, dans un milieu aussi concurrentiel que le champ politique, il s’agit là de handicaps rédhibitoires mais ceux-ci disent, en négatif, toute la relativité du capital symbolique de la Grande Guerre, sur une scène où les générations  précédentes entendent continuer à peser, pour ne pas dire dominer. D’ailleurs, dès l’effervescence de 1919 passée, c’est d’échecs électoraux en échecs électoraux que vole René Fonck (p. 228 et suivantes). Il serait d’ailleurs intéressant de creuser cette question et notamment de déterminer s’il s’agit là d’une spécificité proprement française ou si l’on retrouve ce choc des générations dans d’autres pays. Il est en effet symptomatique de constater que L’Aviation et la sécurité française, traité de stratégie aérienne dans lequel le pilote met en garde contre les dangers de l’Allemagne,  n’a qu’une influence « négligeable » en France (p. 140) alors qu’il jouit d’un véritable écho international, des Etats-Unis au Brésil (p. 141). Mais là encore, la question de la crédibilité de la figure de l’As semble devoir se poser avec insistance : il n’est sans doute pas anodin de constater que l’assistance est, lors de la conférence qu’il donne le 22 février 1924 à la Société de géographie, très largement féminine… (p. 171). Alors, sex-symbol ou expert ?

Il en est d’ailleurs de même au sein des diverses aventures commerciales auxquelles participent René Fonck. « Argument marketing permettant de faire la réclame des produits modernes » (p. 177), l’As se révèle incapable d’empêcher le naufrage de sa société de construction automobile. Certes on peut y voir la conséquence de choix industriels et commerciaux pour le moins discutables (p. 182). Mais il n’en demeure pas moins que cet échec invite aussi à relativiser le poids du souvenir de la Grande Guerre. S’il est important, il n’est néanmoins pas suffisamment puissant pour entrainer l’achat d’une voiture hors de prix. Il en est de même pour les nombreux brevets déposés par l’aviateur, inventions qui ne retiendront jamais la moindre parcelle d’attention (p. 184), y compris au sein de ce milieu aéronautique qui lui est supposément plus favorable.

Carte postale. Collection particulière.

Ecrite d’une plume incisive – l’auteur n’hésite pas à dresser la liste des biographies de Fonck qui lui paraissent « recevables » (p. 8) – cette biographie de René Fonck est en réalité une véritable réflexion sur la réalité du poids du souvenir de la Grande Guerre dans la société française des années 1920-1930. Basée sur des sources puisées parfois bien au-delà des frontières hexagonales, en écho à l’aura transnationale du sujet, cette enquête stimulante invite à sortir la mémoire de ce conflit du strict cadre commémoratif, et du binôme monument aux morts / cimetière – pour interroger son efficacité en tant que capital social. Neuf, un tel questionnement est d’autant plus stimulant qu’il invite à nuancer bien des idées reçues.

Proche du réseau de jeunes chercheurs Une plus Grande Guerre, D. Accoulon livre avec ce riche volume une étude qui, par bien des égards, œuvre à contre-courant de ce collectif d’historiens. La séquence 1914-1918 se révèle en effet au fil de ces pages assez « petite » car, au final, incapable de porter cet éminent acteur du conflit lorsqu’il s’agit de se plonger dans les années 1920 et suivantes. Ajoutons d’ailleurs qu’à en croire l’auteur, le centenaire en constitue un assez grinçant écho, sorte de cosmétique médiatique, puisqu’il précise que « à l’heure d’écrire » ce volume, l’avenir du fonds René Fonck au Centre des images de Lorraine « demeure incertain en raison du manque de financements ». De quoi singulièrement nuancer le poids du sacro-saint « devoir de mémoire »

Erwan LE GALL

ACCOULON, Damien, René Fonck. As des as et pilote de la Grande Guerre, Toulouse, Privat, 2018.

 

 

 

 

 

 

 

1 ACCOULON, Damien, René Fonck. As des as et pilote de la Grande Guerre, Toulouse, Privat, 2018. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 BEURIER, Joëlle, Photographier la Grande Guerre. France-Allemagne. L’Héroïsme et la violence dans les magazines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.

3 « Grande pêche », L’Ouest-Eclair, 25e année, n°8235, p. 7 et « Nouvelles des bancs par la Sainte-Jeanne d’Arc », L’Ouest-Eclair, 27e année, n°9041, 24 janvier 1921, p. 8.

4 « Grande pêche », L’Ouest-Eclair, 23e année, n°7542, 28 juin 1922, p. 6.