La Révolution dans la continuité : le Maitron est enfin libre !

Edité depuis l’origine par les Editions ouvrières, devenues depuis de l’Atelier, le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social, plus connu comme étant le Maitron, du nom de son fondateur Jean Maitron, est un véritable monument : plus 186 000 notices biographiques, des plus célèbres dirigeants syndicaux et politiques aux plus obscurs militants, réparties en 5 périodes de 1789 à 1968. Autant dire qu’il s’agit là d’une mine d’or, gisement quasi infini d’informations qu’il fallait autrefois compulser patiemment au gré des dizaines de volumes publiés, et d’ailleurs récemment parcourus dans un cheminement des plus attendris par le journaliste Edwy Plenel. Puis est venu le temps d’internet et d’une mise en ligne qui, depuis le 5 décembre 2018, est ouverte à toutes et tous, en seulement quelques clics.

Carte postale. Collection particulière.

Il est sans doute inutile de dire ici toute la richesse de cet instrument de travail incontournable – et sans égal – pour qui travaille sur la Bretagne contemporaine. Ce sont sans doute plus de 10 000 fiches biographiques concernant la péninsule armoricaine qui s’offrent aux historiens, aux généalogistes, aux enseignants et aux étudiants, ou encore aux simples curieux : le calcul est en effet délicat à entreprendre, sans compter qu’à ce total déjà impressionnant il faut ajouter la masse considérable des Bretons de Paris sans oublier ceux du Havre. C’est donc, d’une certaine manière, toute une histoire de la Bretagne, par un immense portrait de groupe, que donne à voir le Maitron.

Le paradoxe est que face à une telle masse d’informations, il est aisé de se sentir très rapidement désemparé. Refondu, le nouveau site internet du Maitron répond parfaitement aux besoins des utilisateurs. Le moteur de recherche est puissant et efficace et permet en quelques secondes de retrouver la biographie d’un militant. Mais parce que le  risque est grand de ne trouver que ce que l’on cherche – c’est bien là le sens de l’éloge de la « sérendipité » que l’on trouve sous la plume d’Edwy Plenel1 – le site propose aussi, de manière parfaitement aléatoire, à chaque consultation, trois « rebonds » permettant de flâner indéfiniment au gré des centaines de milliers de page du site : vous cherchiez une militante de la CFDT ouvrière à la manufacture des tabacs de MorlaixJeannette Laot pour ne pas la nommer – et l'on vous invite à rencontrer un Résistant communiste du Jura – un certain Gustave Mouchanat – ou encore un anarchiste brestois mort en déportation à Buchenwald – à savoir Jules Le Gall. C’est là toute la richesse du Maitron qui se décompose en dizaines de dictionnaires thématiques ayant trait à l’anarchie mais aussi aux cheminots, aux femmes, aux fusillés, ou encore en volumes couvrant des espaces aussi différents que la Belgique ou la Chine.

Pour rendre cette somme unique encore plus vivante, et donc accessible au plus large des publics, le site propose également de nombreux contenus éditorialisés, courts articles présentant tel ou tel aspect de la longue et riche histoire du mouvement ouvrier et social ou propos plus charpentés, à l’exemple de cette passionnnante conférence de l’historien Fabrice Grenard sur les instituteurs dans la Résistance. Vivant, s’adaptant de surcroît à tous les supports numériques, du classique ordinateur de bureau au téléphone portable en passant par la tablette, le nouveau site du Maitron est l’interface parfaite pour découvrir ce qui demeure une aventure scientifique unique en son genre.

Carte postale. Collection particulière.

Et l’enjeu est de taille. Il n’aura en effet échappé à personne que la richesse des notices est fluctuante, et que certaines sont même lacunaires. C’est ainsi par exemple que le nom de Frangeul renvoie à un couple d’instituteurs d’Ille-et-Vilaine, sans plus de détails du reste, et fait l’impasse sur le militant républicain et virulent patron de presse malouin Pierre Frangeul. Titanesque, une œuvre comme celle du Maitron est par définition incomplète et inachevée. C’est pour cela qu’elle se doit de recruter toujours plus de volontaires pour dépouiller les archives, enquêter et contribuer en complétant les notices déjà existantes, ou en en écrivant de nouvelles. Plus vivant que jamais, le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social s’attaque en effet à nouvelle période, et pas la moins riche : 1968-1981.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

 

 

1 PLENEL, Edwy, Voyage en terres d’espoir, Ivry-sur-Seine, éditions de l’Atelier, 2016, p. 66-67.