Les rapports et délibérations des conseils généraux

L'histoire locale, à la condition qu'elle ne tombe pas dans le piège d'un localisme dans lequel elle s'est – il faut bien l'avouer – trop longtemps complu au service d'un certain esprit de clocher, peut constituer une approche utile et pertinente à la compréhension de certaines tendances et évolutions politiques et sociales plus générales. C'est d'ailleurs toute l'ambition d'un volume collectif récemment publié – programmatiquement et malicieusement intitulé « Pour une histoire locale de la France – invitant à interroger un moment majeur de l'histoire nationale – 1958 – depuis les régions, et en l’occurrence la Bretagne1.

A Quimper, la salle du Conseil général. Carte postale. Collection particulière.

Dans ce contexte, à l'occasion d'un colloque récent consacré aux élections municipales de 1977, les organisateurs constataient et déploraient – hors études de cas – l'absence presque totale de recherches consacrées aux élections locales – municipales et cantonales –, à une plus petite échelle que la commune et, plus rarement encore, le département2. L'exercice est en effet difficile à réaliser sur la longue durée tant le nombre de scrutins et a fortiori d'élus est important. Yves Billard, dans un passionnant ouvrage consacré au « métier de la politique sous la IIIe République » précise ainsi qu'on compte 400 000 conseillers municipaux dans les années 1870 et 460 000 à la fin des années 1930 (pour 38 à 39 000 maires), 2 800 conseillers généraux en 1871 et plus de 3 100 en 19403.

En matière prosopographique en revanche, le bilan historiographique est meilleur4. Pour autant, si les maires et les conseillers municipaux ont fait l'objet de recherches plus approfondies, Yves Billard précise qu'il « n’existe pas d’étude aussi complète pour les conseillers généraux, et [que] les conseillers d’arrondissement attendent toujours leur historien »5.

Aujourd'hui quelque peu « démonétisé » par le haut, au profit des régions, mais aussi par le bas, au profit du bloc communal, le conseil – qui n'était pas encore départemental mais général – est aux XIXe et XXe siècles au cœur de la vie politique locale6. Il en résulte des archives passionnantes. Les élus nationaux y débutent bien souvent leur cursus honorum et y fourbissent leurs armes avant de rejoindre le Parlement7. Par ailleurs, depuis la loi du 10 août 1871, les conseils généraux, dans les faits dirigés par les préfets qui détiennent la fonction exécutive, sont chargés de gérer les affaires du département. C'est par ces assemblées locales que le régime républicain installe un système de semi-décentralisation très encadré, ensuite étendu aux communes par la loi du 5 avril 1884 relative à l'organisation municipale. Le rôle comme la place du conseil général n'est donc ni anodin, ni accessoire. En effet, même si ces assemblées sont davantage consultatives que délibératives8, même si en théorie elles ne peuvent traiter que de sujets locaux et que les préfets y veillent scrupuleusement, elles constituent une tribune politique locale importante et sont souvent utilisées à cette fin par les élus.

Réaliser un dépouillement complet de l'ensemble des archives départementales françaises apparaît comme une tâche difficile. Il existe désormais un outil, une source jusqu'ici dispersée, qui pourrait toutefois permettre de surmonter cette difficulté et de réaliser une première approche, à l'échelle nationale, tant en ce qui concerne la composition qu'en ce qui touche à l'action publique et politique des conseils généraux : les « rapports et délibérations », disponibles sur Gallica. Les documents de tous les départements ne sont pas encore disponibles en ligne. Les manquants à ce jour sont les départements des Ardennes, de la Drôme, de l'Orne, de la Seine-et-Oise (supprimé en 1968)9, de la Somme et du Vaucluse. Les lacunes, parfois importantes, sont très variables selon les cas.

A Lyon, la salle du Conseil général. Carte postale. Collection particulière.

Sous la IIIe République, le conseil général tient généralement deux sessions par an, l'une au printemps et l'autre à l'automne. Entre ces deux sessions peuvent venir s'intercaler des sessions dites « extraordinaires ». En son sein, le conseil général désigne un bureau (président, vice-présidents et secrétaires) et une « commission départementale » qui se réunit plus régulièrement et qui est chargée d'envoyer les affaires courantes, entre les sessions.

Matthieu BOISDRON

 

 

Le cas des colonies françaises – essentiellement les plus anciennes – où un conseil, colonial ou général, fonctionne sous l'autorité d'un gouverneur n'est pas traité ici.

 

1 En guise d'hommage à l'Histoire mondiale de la France parue en 2017 sous la direction de Patrick Boucheron qui suscita une réelle polémique médiatique et un débat historiographique.

2 Notons tout de même : PIERRE, Martin, Les élections municipales en France depuis 1945, Paris, La Documentation française, 2001.

3 BILLARD, Yves, Le métier de la politique sous la IIIe République, Presses universitaires de Perpignan, 2003, p. 11-15.

4 Voir notamment AGULHON, Maurice, GIRARD, Louis, Robert, Jean-Louis et SERMAN, William (dir.), Les maires en France du Consulat à nos jours, Paris, Publications de la Sorbonne, 1986 ; BRUNET, Jean-Paul (dir.), Les conseillers municipaux des villes de France au XXe siècle, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2007.

5 BILLARD, Yves, Le métier de la politique..., op. cit., pp. 191-207.

6 Conseillers généraux et conseillers d'arrondissement sont élus pour un mandat de six ans, mais en alternance, à l'occasion d'élections « cantonales » qui se déroulent tous les trois ans.

7 MAYEUR, Jean-Marie, CHALINE, Jean-Pierre, CORBIN, Alain (dir.), Les parlementaires de la Troisième République, actes du colloque international des 18 et 19 octobre 2001, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003.

8 Les conseils municipaux possèdent à cet égard davantage de latitude.

9 Le département de Seine-et-Oise laisse la place aux départements de l'Essonne, du Val-d'Oise et des Yvelines. Quelques communes sont également rattachées aux nouveaux départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne qui sont constitués à partir du département de la Seine (centré sur Paris), lui aussi supprimé en 1968.