Suivez le guide !

En octobre 1990, Alain Croix et Didier Guyvarc’h, deux historiens bretons très réputés qu’il n’est sans doute pas utile de présenter ici, publient aux éditions du Seuil un « Guide de l’histoire locale »1. Non réédité, et probablement pour une large part sorti des mémoires, cet ouvrage n’en est pas moins particulièrement intéressant, y compris dans ses pages qui, effet du temps oblige, paraissent aujourd’hui les plus décalées.

Carte postale. Collection particulière.

Ce livre part d’un constat simple, évident, mais qu’il faut répéter tant il est souvent bafoué : il n’existe pas d’une part une grande histoire, nationale, transnationale et académique, et d’autre part une petite histoire, locale, centrée sur le village, le quartier ou même un personnage, fruit du travaux d’amateurs. Il n’existe que deux types de travaux historiques : ceux qui, de qualité, apportent effectivement à la connaissance et peuvent servir de base pour de futurs travaux, et les autres. L’ambition d’Alain Croix et de Didier Guyvarc’h est, avec ce « guide », « de faire découvrir quelques-unes des clés qui permettent de faire une Histoire de qualité » (p. 12).

Pour ce faire, les deux universitaires convoquent une dizaine de spécialistes, aux parcours très divers, et chacun détaille une source ou une thématique particulière. Ainsi, François Lebrun traite des registres paroissiaux et d’état-civil et donne quelques conseils méthodologiques pour aborder cette archive volumineuse, entre comptage mensuel (p. 37-39) et dépouillement abrégé anonyme (p. 40-45). Florence Regourd, pour sa part, délivre les clefs permettant de faire l’histoire de l’école communale, ou de quartier, entre références bibliographiques (p. 267-268), nécessairement à réviser, et archives intéressantes à consulter (p. 269-274). Bref, il y a là une vingtaine de notices d’autant plus précieuses qu’elles guident l’ensemble de la recherche, des premiers pas aux archives à la publication d’un ouvrage (Alain Croix, p. 310-321) et la présentation d’une exposition (Jean-Yves Veillard, p. 324-340).

L’article que Jacqueline Sainclivier consacre à la presse comme archive (p. 121-128) montre toutefois bien l’effet que le temps exerce sur ce précieux « Guide de l’histoire locale ». En effet, il n’est nullement fait mention des références qui existent en ligne alors que celles-ci sont aujourd’hui aussi considérables qu’incontournables. Et l’on mesure en quelques pages combien, en l’espace de 25 ans, les conditions de travail de l’historien.ne, qu’il/elle soit du Dimanche ou non, ont changé, combien le numérique a révolutionné la pratique. Du coup, on ne s’étonnera pas de ne pas trouver dans ce volume de notices se rapportant à des sources aujourd’hui très classiques, car régulièrement mises en ligne, comme les fiches de morts pour la France et de matricules de recrutement, les listes de recensement, les archives cadastrales ou encore électorales.

Carte postale. Collection particulière.

Pour autant, il n’en demeure pas moins que l’esprit général du volume, lui, n’a pas pris une ride. L’analyse de Didier Guyvarc’h sur la place de l’histoire dans la cité et l’importance qu’elle prend dans le débat public parait presque prémonitoire tant elle fait écho à la période actuelle (p. 17-20). Mieux, les propos, incisifs, des deux co-directeurs de l’ouvrage font figure de rappel plus que nécessaire quand ils affirment que l’histoire « comme tout métier, comme toute pratique, […] a ses règles, ses techniques, et que s’en dispenser ne peut donner de meilleurs résultats en Histoire qu’en charpente ». Puissent-ils être entendus…

Erwan LE GALL

 

1 CROIX, Alain et GUYVARC’H, Didier, Guide de l’histoire locale, Paris, Seuil, 1990. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.