Quand les Britanniques faisaient briller le Stade Rennais
En atteignant au printemps 2019, pour la première fois, les huitièmes de finale de la Ligue Europa, le Stade Rennais prend rendez-vous avec sa propre histoire. « Petit poucet » autoproclamé de la compétition, le club défie les Londoniens d’Arsenal dans une double confrontation aux allures symboliques1. Et pour cause ! Pour franchir un nouveau pallier et continuer, par la même occasion, à faire rêver leurs supporteurs, les Rouges et Noirs doivent s’extirper des griffes anglaises après avoir triomphé de celles, non moins redoutables, du Bétis Séville. L’image est savoureuse quand on se souvient qu’un siècle plus tôt, ce sont ces mêmes Britanniques qui permettent aux Bretons de décrocher leurs premiers succès.
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L'équipe du Stade Rennais, le 7 mai 1922. Gallica / Bibliothèque nationale de France: Rol, 74145. |
Si les statistiques retiennent qu’entre 1907 et 1909 le premier entraîneur officiel du Stade Rennais fut le Gallois Arthur Griffith, l’histoire du club rappelle, de son côté, que le premier à l’avoir fait briller est le Jersiais George Scoones. Arrivé comme défenseur au SRUC en 1912, sous la présidence d’Ernest Folliard, il s’impose très vite comme l’un des stratèges du club. En l’absence d’entraîneur, c’est d’ailleurs lui qui prend les décisions tactiques pour l’équipe première, tout en dispensant des « conférences théoriques sur le football association et ses règles » à l’ensemble des licenciés2. Son rôle se renforce un peu plus en 1914 avec le déclenchement du conflit. Echappant à la mobilisation, il est l’un des rares joueurs majeurs à rester au club. Il devient même capitaine de l’équipe première.
Sous ses ordres, le club remporte son premier trophée national en 1916 : la Coupe des alliés. L’année suivante, toujours avec lui, le SRUC en revanche échoue, par 2 buts à 1, face à l’AS Française, en finale de la Coupe interfédérale organisée par la Ligue de Football Association. George Scoones est, ce jour-là, l’unique buteur rennais sur un fait de jeu très « contesté ». A l’époque où l’arbitrage vidéo n’existe évidemment pas, il faut une longue discussion de « cinq minutes » entre l’arbitre et le juge de touche pour que le but soit définitivement validé3. Officiellement intronisé entraineur au sortir de la guerre, George Scoones mène, contre toute attente, son club jusqu’en finale de Coupe de France 1922. Mais, de moins en moins influent dans l’équipe, il décide de quitter le Stade Rennais à la fin de la saison.
Il faut attendre dix longues saisons et la professionnalisation du club pour que le Jersiais soit officiellement remplacé à ce poste. Si la direction confie les commandes de l’équipe à un Tchèque (Trojanek) puis à un Hongrois (Kalman Székany), c’est de nouveau vers un Britannique qu’elle décide de se tourner au début de la saison 1933-1934. Sous l’impulsion du nouveau président Isidore Odorico, ancien joueur de l’épopée de 1922, le club entend reproduire le mariage « franco-britannique » qui avait si bien fonctionné une dizaine d’années plus tôt avec George Scoones, déclarant avec humilité : « Les Britanniques sont nos maîtres, demandons-leur des leçons »4. L’heureux élu est, cette fois, Ecossais. Pour instaurer la « méthode dite écossaise », Philipp McCloy apporte dans ses valises Jeremiah Kelly5. Le pari est séduisant et une large partie de la presse nationale est enthousiasmée par ce recrutement. L’Intransigeant estime d’ailleurs qu’avec « une telle ossature », le Stade Rennais est armé pour lutter avec les meilleures formations de l’élite6.
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Le Stade Rennais, le 7 mai 1922, en finale de la Coupe de France. Gallica / Bibliothèque nationale de France: Rol, 74123. |
Mais rien ne se passe comme prévu… A en croire les dirigeants, la différence
« était trop grande entre les deux façons de jouer, entre les deux conceptions du même jeu. La question du tempérament jouait. L’ardeur du Français s’alliait mal au flegme britannique. »7
Philipp McCloy quitte le club après seulement deux matchs le 20 septembre 1933. La période britannique du Stade Rennais est refermée… jusqu’au printemps 2019 et une folle épopée européenne.
Yves-Marie EVANNO
1 « Rennes, London calling », sofoot.com, 22 février 2019, en ligne. Les rencontres sont prévues les 7 et 14 mars 2019.
2 « Stade rennais université club », L’Ouest-Eclair, 19 décembre 1917, p. 3.
3 « Deux grands Finales », L’Auto, 14 mai 1917, p. 2.
4 « Le Stade Rennais à la recherche de la bonne méthode et de la meilleure formation », L’Ouest-Eclair, 22 septembre 1933, p. 10.
5 « Départ et rentrée au Stade Rennais », L’Ouest-Eclair, 21 septembre 1933, p. 11. Une troisième Ecossais devait initialement rejoindre le club mais son contrat n’est pas homologué.
6 « Le Stade Rennais », L’Intransigeant, 5 septembre 1933, p. 4.
7 « Le Stade Rennais à la recherche de la bonne méthode et de la meilleure formation », L’Ouest-Eclair, 22 septembre 1933, p. 10. |