Les Odorico à Rennes : une saga artistique et artisanale originale

Les Seiz Breur ne sont pas les seuls à faire rayonner l’art décoratif dans la Bretagne de l’entre-deux-guerres. Les Odorico – Isidore le père (1845-1912), Vincent l’oncle et Isidore le fils (1893-1945) – font ainsi de Rennes l’un des foyers les plus productifs en France pour la mosaïque. Il s’agit d’une aventure artistique et entrepreneuriale originale, puisque les deux frères sont des immigrés italiens venus de la région du Frioul, dans le Nord-Est de l’Italie, pour travailler dans les années 1870 sur le chantier de l’Opéra Garnier à Paris. Après un bref passage à Tours, ils installent leurs familles à Rennes en 1882 pour fonder la maison Odorico frères. Cette implantation géographique a tout pour surprendre, puisque la Bretagne de cette époque est davantage connue pour être une terre d’émigration, vers Paris ou Le Havre notamment.

Détail d'une mosaïque Odorico à Paimpol. Cliché: François / Flickr.

Le travail de la mosaïque connaît un véritable essor à la fin du XIXe siècle en France. Une technique décorative utilisée autant pour le pavement des sols avec du marbre, que pour la décoration murale intérieure et extérieure par l’emploi de pâte de verre ou de smaltes (fragments  de verre ou d’émail colorés). Cette technique, outre sa résistance dans le temps, offre la possibilité de créer une multitude d’effets dans les réalisations, par le jeu des couleurs, des lumières, des matières. La mosaïque devient ainsi l’un des matériaux favoris de l’Art déco.

A Rennes, à la Belle époque, les affaires des Odorico ne sont pas encore très florissantes. L’entreprise née  de l’association des deux frères disparaît même dans les premières années du XXe siècle. Isidore père poursuit néanmoins son activité sans son frère, jusqu’à sa mort en 1912. On recense toutefois une quarantaine de réalisations pour la  première génération d’Odorico à Rennes. Une œuvre encore modeste,  circonscrite à des ornements d’églises, ou au pavement d’entrées de maisons.

C’est la deuxième génération d’Odorico, les enfants d’Isidore, qui donnent le véritable lustre à la saga familiale. Et surtout Isidore fils, né en 1893, qui suit un cursus aux Beaux-Arts de Rennes entre 1908 et 1913. Après la Première Guerre mondiale – à laquelle il a participé et a été fait prisonnier –, il relance avec sa mère Marguerite et son grand frère Vincent l’entreprise familiale. Dans l’entre-deux-guerres, la maison Odorico frères prend part aux principaux chantiers de la ville de  Rennes, en travaillant notamment en collaboration avec le grand architecte Emmanuel  Le Ray lors de la réalisation des bassins de la piscine et des bains publics Saint-Georges entre 1923 et 1926. Dans le chef-lieu de  l’Ille-et-Vilaine, Isidore Odorico réalise également les façades de l'immeuble Poirier au n°7 de l’avenue Janvier en 1931, les intérieurs de l'église Sainte-Thérèse en 1933, les lambris et frise de la crèche Papu en 1934, les intérieurs de la Cité universitaire au n°94 du boulevard de Sévigné en 1935, sans compter la décoration de sa propre maison au n°7 rue Joseph Sauveur. Une œuvre dominante dans les bâtiments publics construits à cette époque, mais qui a  également su répondre au  nouveau goût Art déco de la bourgeoisie rennaise pour leurs intérieurs.

Une demande qui s’étend à toute la Bretagne avec les réalisations, entre autres, de l’intérieur de la chapelle du Grand séminaire de Saint-Brieuc  (1924-1928), les décors de façade de l'usine Morel et Gaté à Fougères (1926-1927), les intérieurs des postes  de Tréguier et de Cancale en 1935. C’est ainsi que les locaux de la petite entreprise familiale situés aux n°16-18 de la rue de Léon deviennent rapidement trop petits. La société Odorico s’agrandit en ouvrant des succursales à Angers, Nantes et Dinard, au fil des nombreux chantiers réalisés dans tout l’Ouest de la France, puisque ce ne sont pas moins que 122 villes de cet espace géographique qui recensent au moins une réalisation des mosaïstes rennais. Parmi celles-ci, on peut au moins citer la Maison bleue et l’Ecole de pilotage de la Compagnie française d’aviation à Angers.

Détail de la Maison bleue à Angers. CLiché: François / Flickr.

L’empreinte laissée par Isidore Odorico dans la ville de Rennes n’est pas seulement décorative. Il s’investit également dans la vie sportive de la ville. Joueur de football au Stade rennais université club dès 1912, il contribue notamment à l’aventure la première finale de la Coupe de France jouée par le club le 7 mai 1922… perdue 2-0 face au Red Star AC, devant les 25.000 spectateurs du stade Pershing à Paris. Odorico est surtout président du Stade rennais UC entre 1931 et 1938. C’est lui qui fait accéder le club au professionnalisme avec sa participation au premier championnat de France professionnel en 1932. Mais là, c’est une autre histoire…

Thomas PERRONO