Lucien Petit-Breton : à jamais le premier Breton vainqueur du Tour de France

De Plessé à Buenos Aires, des routes du Tour de France aux champs de bataille de la Grande Guerre : Lucien Mazan, dit Petit-Breton, est un homme aux vies multiples. Un parcours qui raconte aussi bien les grands mouvements bretons de migration de la seconde moitié du XIXe siècle, le temps des pionniers du cyclisme, que la disparition au front d’une génération de champions.

Carte postale. Collection particulière.

Lucien Mazan naît le 18 octobre 1882 à Plessé, en Loire-Inférieure. Quelques semaines plus tard, son père horloger-bijoutier et sa mère émigrent en Argentine. Là-bas, ils ouvrent un nouveau commerce à Buenos Aires. Après deux années en garde chez une tante, le petit Lucien et son grand frère Paul, traversent également l’Atlantique pour rejoindre leurs parents. A en croire l’historien des migrations bretonnes, l’abbé Elie Gautier, cette trajectoire migratoire de la famille Mazan est assez originale : « la France […] de 1857 à 1891, a vu  partir 285 873 personnes [vers le Nouveau Monde]. La Bretagne n’en comptait que 9 101 dans ce contingent, soit environ 3% »1. Il n’y aurait ainsi dans les années 1880, « qu’un millier de malheureux » venus des communes d’Elliant, Scaër et Coray, en plus de quelques centaines de Bretons ardoisiers à Trélazé qui ont suivi leur aumônier. Lucien Mazan, quant à lui, se passionne pour le cyclisme dès son adolescence, alors qu’il travaille au prestigieux Jockey  club de la capitale. Les premiers résultats ne tardent pas à venir. Pour échapper à la réprobation  paternelle, Lucien prend un pseudonyme : Breton. En 1899, il devient champion d’Argentine sur piste. Le titre sur route ne tarde pas à suivre.

En 1902, Lucien Mazan est de retour en France avec l’espoir de faire carrière sur son vélo. On est alors au temps des pionniers du cyclisme, quand les courses sur piste structuraient le calendrier vélocipédique. Pour éviter la  confusion avec un homonyme, Lucien devient Petit-Breton dès ses premières courses. Mais le public préfère le surnommer « l’Argentin ». Dès sa première participation au  prestigieux Bol d’Or, une course d’endurance de 24 heures qui se dispute au vélodrome Buffalo de Neuilly-sur-Seine, Petit-Breton décroche la deuxième place. En 1904, il remporte l’épreuve sur piste. En 1905, il devient le recordman de l’heure en parcourant 41,110 km. Cette même année il participe à la troisième édition du Tour de France et termine l’épreuve à la cinquième place. Un tour de chauffe, en quelque sorte. En effet, après avoir remporté Paris-Tours en 1906 et la première édition de Milan-San Remo, l’année suivante ; Lucien Petit-Breton gagne le Tour de France 1907, non sans avoir remporté deux étapes, dont celle  qui arrive sur ses terres, à Nantes. L’année suivante, il survole l’épreuve : il décroche 5 des 14  étapes, tout en  étant le leader de la course, dès la deuxième étape. En 1908, Petit-Breton devient ainsi le premier double vainqueur du Tour de France. Il se retire une première fois des pelotons pour tenir la concession des vélos Peugeot à Périgueux. Retraite de courte durée, mais s’il obtient encore un certain nombre de succès jusqu’en 1914 ; Lucien Petit-Breton ne parvient plus à briller sur le Tour de France, et encore moins sur le Tour d’Italie.

Au déclenchement de la  Grande Guerre, Petit-Breton est  âgé de 32 ans. Il est affecté au pilotage des automobiles militaires à l'état-major, au  sein du 20e escadron du Train. Le 20 décembre 1917, il meurt à l’hospice de Troyes, des  suites d’un  « accident en service  commandé »2. La Grande Guerre se révèle être une grande faucheuse pour cette génération de champions cyclistes. En effet, en plus de Lucien Petit-Breton, deux autres vainqueurs du Tour de France ne reviennent pas du front : François Faber (1909) et Octave Lapize  (1910). La dépouille de Petit-Breton repose pour sa part en Bretagne, au cimetière de Pénestin, dans le Morbihan.

Lucien Petit-Breton sur les routes du Tour de France en 1913. Carte postale. Collection particulière.

Dans l’entre-deux-guerres, le cyclisme breton continue à produire des champions. Il suffit de penser aux frères Le Drogo ou à Jean-Marie Goasmat. Pourtant, il faudra attendre la fin du second conflit mondial, pour voir un Breton s’imposer à nouveau sur les routes du Tour de France, en 1947 : Jean Robic, alias « Tête de cuir ». Par la suite, deux autres Bretons dépassent  le maître : Louison Bobet est triple vainqueur de la Grande boucle (1953, 1954 et 1955) et Bernard Hinault est lui quintuple maillot jaune (1978, 1979, 1981, 1982 et 1985). Pour autant, Petit-Breton demeure à jamais le premier vainqueur breton de la course la plus prestigieuse du monde.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

1 GAUTIER Elie, L’émigration bretonne. Où vont les Bretons migrants. Leurs conditions de vie, Paris, Bulletin de  l’entr’aide bretonne de la région parisienne, 1953, p. 125.

2 Fiche  nominative des « Morts pour la France » de Lucien Mazan sur le site Mémoire des hommes [consulté le  17 juin 2018].