Les Bretons dans les ardoisières de Trélazé

Poussés par la crise économique qui frappe la proto-industrie rurale dans la seconde moitié du XIXe siècle, de nombreux Bretons prennent le chemin de l’émigration en quête d’un travail rémunérateur. Ils deviennent ouvriers agricoles dans la Beauce ou à Jersey, ouvriers des industries chimiques à Saint-Denis, terrassiers lors de la construction du métropolitain ou bonnes à tout faire dans la capitale, dockers au Havre… mais également ouvriers dans les ardoisières de Trélazé, en périphérie d’Angers.

Carte postale. Collection particuière.

L’exploitation des gisements de schistes ardoisiers à Trélazé se développe à partir du XVe siècle. L’ardoise devient au fil des siècles une véritable mono-industrie pour cette commune. Ainsi, quand la demande augmente au milieu du XIXe siècle, le vivier local de main-d’œuvre ouvrière se trouve rapidement insuffisant pour répondre à l’augmentation de la production. Les carriers trélazéens en profitent pour réclamer de meilleures conditions salariales. Face à cela, les patrons des ardoisières tentent d’attirer une main-d’œuvre migrante nombreuse et moins chère. Des campagnes de recrutement à destination des Bretons ruraux s’engagent ainsi à partir des années 1860.

Dans un premier temps, celles-ci prennent la forme de courriers adressés par les directeurs des carrières à destination des maires des communes rurales bretonnes, d’Ille-et-Vilaine et des Côtes-du-Nord principalement. L’argumentaire se concentre sur les avantages économiques du travail dans les ardoisières, par rapport aux faibles salaires des journaliers bretons. Afin d’attirer des familles entières, les patrons trélazéens promettent une participation aux frais de transports, un logement ou l’embauche des enfants de plus de dix ans. Ceux qui se laissent tenter par l’aventure sont peu qualifiés et sont donc cantonnés aux tâches les plus difficiles. Ceci explique certainement que les premières vagues d’ouvriers bretons dans les carrières de Trélazé ne se sédentarisent que très peu. L’Anjou est pour une grande part d’entre eux un point de passage vers d’autres horizons, Paris notamment.

Conscients du problème, les patrons des ardoisières modifient leurs modes de recrutement, à partir de 1880, en ciblant désormais les zones de production ardoisière aux confins des départements du Finistère, du Morbihan et des Côtes-du-Nord. Des agents recruteurs parcourent la campagne du Centre-Bretagne à la recherche d’une main d’œuvre qualifiée, mais désœuvrée par les fermetures successives des carrières bretonnes : Poullaouen, ou Le Huelgoat entre autres. Cette nouvelle politique porte rapidement ses fruits : les Bretons affluent désormais vers Trélazé. A la fin de la décennie, ils représentent 40,5% des ouvriers des ardoisières et sont plus nombreux que les Angevins. Dès lors, la Bretagne devient une véritable réserve de main d’œuvre quand les crises de recrutement se font sentir. C’est ainsi qu’en 1911, la Commission des ardoisières d’Angers se tourne vers les ports de Lorient et Concarneau, frappés par la crise de la pêche.

Carte postale. Collection particuière.

Le métier dans les carrières d’ardoise est rude et inégalitaire selon que l’ouvrier travaille « à-bas », en tant que mineur ou extracteur au fond du puit, ou bien « à-haut » dans des abris appelés « tue-vent » en train de fendre des ardoises. En 1892, les Bretons appartiennent bien d’avantage à la première catégorie (plus de 40%), qu’à la seconde (moins de 5%).

A Trélazé, la « colonie bretonne » représente près du quart de la population municipale en 1890. Un poids démographique qui se prolonge dans le temps, puisqu’en 1936, sur les 6 079 habitants de Trélazé : 1 490 sont nés en Bretagne (25%) et 705 sont nés de parents bretons (12%). Les Bretons de Trélazé se regroupent dans le quartier de la Petite Bretagne, situé à proximité des ardoisières entre le bourg au Sud et la ligne de chemin de fer au Nord. Les logements relèvent souvent du taudis et sont surpeuplés par plusieurs familles d’ouvriers. La tuberculose est un fléau quotidien. Comme c’est le cas d’un grand nombre de travailleurs migrants, les Bretons jouissent d’une piètre image dans la population locale : alcoolisme, saleté, voleurs d’emploi. Ils sont couramment qualifiés de pigrolliers. Malgré tout, une vie communautaire se met en place chez cette population majoritairement bretonnante jusqu’à la Première Guerre mondiale. Et comme souvent, c’est autour du clergé que celle-ci s’organise. Dès 1867, Hyacinthe Nédélec devient l’aumônier des Bretons, en étant investi vicaire de la chapelle de Saint-Lézin. Au début de la décennie 1880, des offices en langue bretonne sont organisés. Les coutumes religieuses bretonnes autour de la procession et des bannières prennent place dans le paysage angevin. Des médecins bretonnants sont également chargés de soigner les migrants venus de la péninsule armoricaine. Le Dr Le Barzic en est l’une des figures les plus marquantes.

Dans l’entre-deux-guerres, des ouvriers venus de l’étranger – Italie mais également Espagne – sont également engagés dans les ardoisières de Trélazé. Bien que les Bretons forment une communauté à part par bien des égards, ils côtoient ces travailleurs immigrés en vivant dans les mêmes quartiers. Dans le même temps, les Bretons prennent le chemin de l’intégration, par le biais de mariages exogames, d’une meilleure formation permettant l’accès à des emplois plus qualifiés, mais aussi par le travail dans d’autres industries que celle de l’ardoise : manufacture d’allumettes à Trélazé, corderie ou tréfilerie à Angers…

Carte postale. Collection particuière.

Au final, tant dans sa chronologie que dans ses modalités, l’émigration bretonne à Trélazé constitue un cas d’école dans l’étude des diasporas bretonnes qui essaiment les quatre coins de France, et du monde, dans la seconde moitié du XIXe et la première du XXe siècle.

Thomas PERRONO