La formation du gouvernement du « Tigre sympathique »

La formation d’un nouveau gouvernement est toujours un événement qui fait le bonheur des journaux. Encore plus sous la IIIe République, régime accordant une réelle prééminence à la Présidence du Conseil, et surtout, serait-on tenté de dire, lorsqu’en pleine Première Guerre mondiale, le 16 novembre 1917, Georges Clemenceau est chargé de constituer un nouveau cabinet. La presse bretonne ne s’y trompe d’ailleurs pas et le jour même L’Ouest-Eclair et la Dépêche de Brest titrent sur la nouvelle.

Carte postale, collection particulière.

Il est vrai qu’il s’agit là d’un véritable tournant de la guerre, actant le retour définitif du pouvoir politique, et donc civil, à la conduite de la guerre. L’omnipotence du généralissime Joffre, démis de ses fonctions à la toute fin de l’année 1917, n’est assurément plus de mise. A Brest, Louis Coudurier, le rédacteur de La Dépêche ne manque pas de le signaler mais pour au contraire déplorer la « versatilité parlementaire » française, celle-ci étant opposée à la stabilité des autres nations « alliées ou ennemies »1. Le propos est sévère. Certes, en Allemagne, Berthmann Hollweg s’est maintenu à la chancellerie jusqu’en juillet 1917 mais son successeur, Georg Michaelis, n’est resté en poste que trois mois, pour être finalement remplacé le 1er novembre 1917 par Georg von Hertling. La situation n’est donc pas beaucoup plus reluisante qu’en France, Paul Painlevé ayant été démis le 13 novembre 1917 après avoir été nommé le 12 septembre précédent. Le fait est que la guerre renverse les gouvernements, comme en Grande-Bretagne où Asquith ne survit pas à l’échec de l’offensive lancée sur la Somme et est remplacé en décembre 1916 par Lloyd Georg et en Italie où Vittorio Orlando arrive à la présidence du Conseil le 29 octobre 1917 à la suite du désastre de Caporetto. Il en est de même des régimes, comme en témoigne la crise russe. Celle-ci fait d’ailleurs la une de la Dépêche de Brest du 16 novembre 1917 qui se demande, fébrilement : « Que se passe-t-il en Russie ? »

D’un strict point de vue factuel, on retrouve en 1917 l’enchainement factuel propre à toute formation de gouvernement. Et comme sur les chaînes d’information continue du début du XXIe siècle, les journalistes sont obligés de commenter une actualité dont ils ignorent tout, puisque le secret absolu est de mise pendant les heures cruciales où se forme le gouvernement. Le nouveau Président du Conseil réclame en effet 48 heures pour former son équipe, soit deux numéros entiers pour les quotidiens bretons ! Autant dire une éternité… Plutôt favorable à Clemenceau, Louis Coudurier affirme néanmoins que le Tigre mènera les démarches « rondement » pour la composition du cabinet, sans pour autant pouvoir aller plus loin2. L’Ouest-Eclair, opposé de longue date à Clemenceau du fait des lois laïques et notamment de la dure crise des inventaires des biens de l’Eglise, cherche également à gagner du temps mais, feignant de respecter l’impératif d’Union sacrée, se demande si le natif de Mouilleron-en-Pareds sera capable de « se  transformer en un véritable homme d’Etat »3. Question là encore récurrente – ou presque - pour tout nouvel arrivant à al tête d’un gouvernement…

Un détail frappe néanmoins. A en croire la presse bretonne, le VIIe arrondissement de Paris n’est pas encore le quartier vidé par les forces de sécurité que nous connaissons aujourd’hui. Et Louis Coudurier de décrire Georges Clemenceau sortant de l’Elysée, « [sautant] dans une auto et [disparaissant] dans le brouillard opaque et bruyant de la rue du faubourg Saint-Honoré »4. En définitive, seule reste la volonté de transmettre, y compris par la plume, des images parlantes.

Carte postale. Collection particulière.

Contrairement à ce qu’il avait annoncé, Georges Clemenceau annonce toutefois la composition de son gouvernement au lendemain de sa nomination à la Présidence du Conseil et les quotidiens bretons peuvent dès le 17 novembre 1917 scander le nom des titulaires de maroquins. Faut-il voir dans cette rapidité une volonté d’afficher un certain volontarisme politique et/ou de s’attirer les bonnes grâces de la presse ? Difficile de le dire. En tout état de cause, L’Ouest-Eclair salue la démarche d’ouverture – pour employer une expression parfaitement anachronique – de Clemenceau qui, à l’en croire, « n’est pas tombé dans l’erreur de n’appeler autour de lui que des hommes de son parti »5. Louis Coudurier semble pour sa part charmé et ne manque pas de gloser sur « ces gens bien informés » qui considéraient comme « impossible » l’arrivée au pouvoir de « ce jeune homme de 76 ans », qualifié pour l’occasion de « Tigre sympathique »6.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 COUDURIER, Louis, « Le Régime du Tigre », La Dépêche de Brest, 31e année, n°11791, 16 novembre 1917, p. 1.

2 Ibid.

3 « M. Clemenceau est chargé de former le cabinet », L’Ouest-Eclair, 19e année, n°5583, 16 novembre 1917, p. 1.

4 COUDURIER, Louis, « Le Régime du Tigre » , art. cit.

5 « M. Clemenceau a constitué son cabinet », L’Ouest-Eclair, 19e année, n°5584, 17 novembre 1917, p. 1.

6 COUDURIER, Louis, « Le Tigre sympathique », La Dépêche de Brest, 31e année, n°11792, 17 novembre 1917, p. 1.