A propos de la guerre de 30 ans
Dans son édition du 20 novembre 1939, le quotidien breton L’Ouest-Eclair publie en deuxième page une très intéressante tribune, non signée, sur « l’éternelle Allemagne » présentée comme étant « l’antéchrist ». Ce texte doit évidemment être replacé dans le contexte de guerre pendant lequel il est publié puisque celle-ci est déclarée depuis le 3 septembre 1939. Mais il doit également être resitué dans la compréhension que les contemporains ont alors du nazisme, compréhension qui est sans commune mesure avec ce que l’historiographie a pu jusqu’aujourd’hui établir.
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Carte postale commémorant le putsch dit de la "Brasserie de Munich" en novembre 1923 (détail). Collection particulière. |
Dans ce billet, c’est la voix d’un catholique qui s’exprime et si l’hostilité au nazisme y est particulièrement marquée c’est parce qu’Hitler et son régime sont suspectés d’être les propagateurs d’une « religion naturiste néo-païenne ». C’est bien de défense des catholiques qu’il s’agit ici et c’est pourquoi l’auteur dénonce les persécutions dont sont victimes en Allemagne les croyants et le clergé : « A Mayence, à Fribourg-en-Brisgau, à Trèves, les cérémonies religieuses sont violemment troublées, les évêques bafoués ».
Une telle grille de lecture n’est pas rare mais un point doit ici être expressément souligné. En effet, remontant aux origines du régime, l’auteur écrit que « déjà, dès le mois de mai 1934, Goebbels, l’aboyeur patenté du Reich, avait donné le signal des hostilités, au nom du racisme intégral et de l’idéologie national-socialiste, contre les Juifs et contre les Chrétiens ». Or, loin d’être anodine, cette phrase montre que l’auteur n’a pas compris la dimension fondamentalement antisémite du nazisme. Là encore, ceci nous renvoie à la question du degré de compréhension du nazisme par les contemporains, cet objet politique apparaissant en France dès le début des années 1920 comme difficilement saisissable.
Et c’est d’ailleurs parce qu’il n’a pas compris la nature foncièrement antisémite du nazisme que l’auteur de cette tribune cherche dans l’histoire de l’Allemagne, et plus précisément dans les précédents de 1870-1871 et 1914-1918, les racines de la guerre déclenchée en septembre 1939. Bien entendu, il ne s’agit pas pour nous d'avancer que ces conflits ne sont pas sans interférer sur la Seconde Guerre mondiale. Après tout, les enfants de 1914 sont les adultes de 1939 et il est inenvisageable de penser que le poids de la Grande Guerre n’influe pas sur les comportements et les mentalités vingt-cinq ans plus tard. Et c’est d’ailleurs pour cela que des démarches comparatives, transversales, comme celle que par exemple opère Emmanuel Debruyne à propos du concept de « Résistance », sont d’un grand intérêt.
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A Berlin en 1939. Carte postale (détail). COlection particulière. |
Mais, pour autant, évoquer une guerre de trente ans ou, mieux encore, dresser comme le fait l’auteur de cette tribune un parallèle entre Bismarck et Hitler, c’est ne pas comprendre la dimension idéologique de la Seconde Guerre mondiale et, plus fondamentalement, la nature viscéralement antisémite du nazisme. Là encore, affirmer ceci n’est pas avancer que la Première Guerre mondiale n’est pas un conflit idéologique. Si cette guerre nous parait aujourd’hui difficilement compréhensible, il ne faut pas oublier qu’elle a pour les contemporains du sens. Et c’est ainsi par exemple qu’un catholique convaincu comme Joseph Le Segrétain du Patis peut développer dans les carnets qu’il rédige entre 1914 et 1918 une lecture très religieuse du conflit auquel il participe. Mais, pour autant, si la Grande Guerre ne peut être détachée de sa dimension idéologique, celle-ci ne saurait être aucunement assimilée à celle qui prévaut entre 1939 et 1945. Affirmer ceci serait en effet tomber dans le piège d’une guerre européenne de trente ans dont l’écueil principal – outre qu’il suggère une dimension matricielle du temps – est de gommer la spécificité du nazisme. Or ce qui peut se comprendre sous la plume d’un contemporain qui ne bénéficie pas du recul de l’historien ne l’est pas chez un homme ou une femme du XXIe siècle.
Erwan LE GALL |