Le Proche et le Moyen-Orient de 1914 à 1948

Il est d’usage de faire remonter l’instabilité du proche et du Moyen-Orient aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, et notamment à la création de l’état d’Israël. C’est là une vision très réductrice, faisant notamment fi des troubles agitant les régions plus éloignées de la « terre promise » que sont la Turquie, l’Irak ou encore la Tripolitaine. C’est plus encore accorder peu d’importance au temps long du XXe siècle.

Carte postale figurant la ville côtière de Jaffa, au sud de Tel-Aviv, au début du XXe siècle. Les deux villes sont aujourd’hui fusionnées. Collection particulière.

En effet, le Proche et le Moyen-Orient deviennent rapidement un foyer important de la Première Guerre mondiale, même si son intensité est d’un strict point de vue militaire sans commune mesure avec les redoutables batailles de Verdun et de la Somme menées en 1916. Il en résulte une géographie politique particulière, dessinant les prémices du durable conflit opposant Juifs et Arabes en Palestine.

 

L’impact de la Première Guerre mondiale

Conflit à l’origine essentiellement européen, la Première Guerre mondiale n’en a pas moins des répercussions mondiales comme le prouve en 1917 l’entrée en guerre des USA et la révolution russe. Aussi, le Proche et le Moyen-Orient se trouvent-ils rapidement impliqués dans cette véritable déflagration diplomatique, cette espace s’affirmant rapidement comme un terrain d’expression des impérialismes européens.

Un carrefour d’influences

En 1914, la région est partagée entre l’Empire ottoman et la Perse. L’Empire ottoman dominé par les Turcs s’est affaibli au fil des siècles et il perd de nombreux territoires au profit des Européens : Afrique du nord (et tout particulièrement l’Algérie passée depuis 1830 sous domination française), Balkans, Chypre…  Les puissances européennes prennent des positions importantes à l’intérieur de l’Empire et contrôlent une grande part de l’économie ottomane, notamment en ce qui concerne les gisements de pétrole, ressource éminemment stratégique et essentielle au développement industriel de la France et de la Grande-Bretagne.

A ces considérations d’ordre économique, s’ajoutent d’autres d’ordre culturel et religieux. Sous prétexte de défendre les minorités chrétiennes, et notamment ceux que l’on nomme les Assyro-Chaldéens, les Européens tentent d’infléchir la politique de l’État ottoman. Il convient en effet de ne pas perdre de vue que cette région est aussi le berceau du christianisme.

La ville de Bethléem au début du siècle. Collection particulière.

Cependant, même si sa situation n’est pas aussi favorable qu’au XIXe siècle, l’Empire Otoman demeure à la veille de la Grande Guerre une puissance régionale importante. Il contrôle en effet les détroits de la Mer noire (Bosphore et Dardanelles), points de passage obligés entre la Russie et la Mer Méditerranée. Il est également le gardien des lieux saints de l’islam, ce qui confère au Calife un grand pouvoir spirituel.

Dynamitage des frontières et créations de tensions

Le 2 novembre 1914, les Ottomans rejoignent la Triple Alliance et s’allient à l’Empire allemand, ce qui les conduit à combattre les Russes sur leurs frontières. Dans le même temps, dès le 3 novembre 1914, une escadre franco-britannique bombarde des fortifications sur le Détroit des Dardannelles. En 1915, Paris et Londres tentent d’y débarquer mais l’opération se solde par un échec retentissant et très lourdes pertes. De plus, le génocide arménien contribue à faire de cette région un important théâtre foyer de violence, quoique bien différent de ce que l’on peut observer sur la Somme ou à Verdun.

Les Anglais ne parvenant pas à vaincre les Ottomans en les attaquant de front tentent de les déstabiliser de l’intérieur et incitent les tribus bédouines à se révolter, leur promettent la création d’un grand État arabe indépendant. C’est à cette occasion que s’illustre le célèbre T. E. Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie. Mais, dans le même temps, en 1917, les Britanniques publient la Déclaration Balfour – du nom de Lord Arthur Balfour, ministre britannique des affaires étrangères pendant la Grande Guerre – qui autorise les Juifs à venir s’installer en Palestine pour y constituer un « foyer national ».

Au centre, Lord Arthur Balfour. Carte postale. Colection particulière.

Enfin, le 16 mai 1916, Londres signe avec Paris les accords secrets Sykes-Picot – du nom de Sir Mark Sykes, diplomate britannique spécialisé dans le Moyen-Orient, et François Georges-Picot, Consul de France à Beyrouth – qui résultent de l’anticipation de l’effondrement de l’Empire Ottoman et planifie une nouvelle organisation de la région. Est ainsi décernée à la France une influence sur des territoires qui correspondent aux pays actuels que sont la Syrie et le Liban, tandis que les Britanniques exercent leur contrôle sur ce qui deviendra par la suite l’Irak et la Palestine mandataire. Mais ces préparatifs contradictoires où se mêlent recherche d’alliés à court terme et vues à long terme, contribuent à rendre après-guerre inextricable la situation géopolitique dans la région.

 

Une région dominée par les Français et les Britanniques (1918-1945)

Loin de mettre fin aux tensions qui traversent la région du fait de la domination franco-britannique, les années 1920-1930 apparaissent au contraire comme le creuset d’une instabilité chronique.

Solder le conflit

Le traité de Sèvres, signé le 10 août 1920, démantèle l’Empire ottoman en transformant les anciennes provinces en « mandats » confiés principalement à la France et au Royaume-Uni et en plaçant Istanbul et le Bosphore sous administration internationale.

Signature du traité de Sèvres. Gallica/BNF.

Bien évidemment, une telle situation ne peut pas ne pas froisser l’orgueil national des populations ex-ottomanes. En Turquie, la population se révolte sous la direction de Mustapha Kemal qui mène de nombreux conflits localisés, notamment contre les Grecs, parvient à chasser les armées étrangères et, enfin, obtient la signature d’un autre traité, à Lausanne, en 1923. Ces conflits entraînent de vastes transferts de populations et cristallisent des tensions qui sont encore aujourd’hui perceptibles entre Grecs et Turcs.  Mustapha Kemal abolit le califat et crée une république laïque en 1924.

En créer d’autres…

Les mandats confiés à Londres et Paris contribuent également à remodeler la région. La France crée la Syrie et le Liban. L’Angleterre crée la Transjordanie, l’Irak et la Palestine. Mais ces nouveaux découpages géographiques cachent des réalités difficiles. C’est ainsi par la force que la France instaure son mandant en Syrie, face au mouvement nationaliste-arabe du roi Fayçal, puis à partir de 1925 face aux Druzes. En Irak, les Britanniques ne parviennent à « pacifier » la situation qu’en 1925, après avoir placé Fayçal sur le trône.

Dans la péninsule arabique, Abd El Aziz Ibn Saoud crée le royaume d’Arabie saoudite. Mais les peuples arabes s’estiment trahis par les Occidentaux car ils rêvaient d’un État unitaire. C’était notamment le projet de Fayçal qui souhaitait instaurer un Royaume arabe à cheval sur la Syrie et l’Irak. Ils expriment leur colère et leur indignation et se heurtent partout à une forte répression. Les révoltes sont nombreuses : en Irak (1921), en Syrie et au Liban (1925), en Palestine (1936-1939)…

Les Occidentaux se lancent dans l’exploitation du pétrole, notamment en Irak. Leurs entreprises forment un cartel, surnommé les Sept Soeurs, qui domine toute la production de la région dès la fin des années 1920. Le Royaume-Uni accorde en 1930 l’indépendance à l’Irak, qui entre à la Société des nations, mais demeure sous une très forte influence de Londres. Il en est de même en 1922 en Egypte, même si la Grande-Bretagne maintient ses troupes dans la zone du canal de Suez.

Un enjeu de la Seconde Guerre mondiale

Durant la Seconde Guerre mondiale, le Proche et le Moyen-Orient sont encore un enjeu majeur. Les Anglais et les Soviétiques occupent l’Iran. Hitler pour sa part voit l’intérêt de contrôler d’importants gisements pétrolifères et envoie une armée (l’Afrika korps, commandée par le général Rommel) soutenir l’Italie mais qui après de nombreux succès est battue en Égypte à El Alamein (1942).

Rommel en Cyrénaïque devant Benghazi : extrait des actualités mondiales, 6 févrrier 1942.

La zone que l’on appelle le Levant devient un excellent miroir des tensions qui scindent l’Europe pendant le conflit. C’est ainsi qu’en Syrie ont lieu des combats franco-français en 1941 entre partisans de Vichy d’une part et de la France libre d’autre part. Ceci dit bien la complexité des ressorts qui agitent la région.

 

Juifs et Arabes en Palestine (1917-1948)

Ville trois fois sainte, Jérusalem illustre parfaitement les tensions qui divisent la Proche-Orient. Alors qu’ils dominent la région, les Britanniques, chrétiens, tentent de garder leur influence en accordants aux Juifs et aux Arabes des concessions contradictoires et intenables.

Sionisme et réaction arabe

A la faveur de l’affaire Dreyfus, Théodore Herzl crée le mouvement sioniste. Le sionisme est un mouvement politique qui veut créer un État juif en Palestine. En 1917, le gouvernement anglais publie la Déclaration lord Balfour par laquelle il reconnaît les sionistes et les autorise à créer en Palestine un « Foyer National juif ».

Vue du Kibboutz Ein Harod, fondé en 1921, dans les années 40. Crédits: Yad-Tabenkin.

Une importante immigration se met en place. Les Juifs, avec le soutien de l’administration anglaise, mettent en place des structures importantes : des écoles, des hôpitaux, une université, une force armée. Ils achètent massivement des terres où ils construisent des villages fortifiés (les Kibboutzim) et où ils n’embauchent que de la main d’œuvre juive. Dans le même temps, un vaste prolétariat arabe se constitue dans les villes où l’industrie est inexistante. L’opposition arabe est dirigée par Amine El Husseini, grand Mufti de Jérusalem, qui a créé le Haut comité arabe. Les tensions sociales et religieuses se multiplient entre les deux communautés et les Arabes se révoltent entre 1936 et 1939. Peu à peu, la guerre approchant, les Anglais réduisent l’immigration et promettent l’indépendance aux Arabes de Palestine.

Réparer Auschwitz ?

En 1945, la situation est différente. Le monde a découvert les camps de la mort. Les sionistes réclament un refuge pour le peuple juif et la reprise de l’immigration en Palestine. L’affaire de L’Exodus, du nom d’un navire rempli de Juifs venus s’installer en Palestine mais refoulé par les autorités britanniques, choque durablement l’opinion publique.

Extrait des Actualités françaises, 7 août 1947.

Devant cette situation inextricable, le Royaume-Uni, sorti exsangue de la Seconde Guerre mondiale et conscient de son incapacité à conserver son Empire, transfère le dossier palestinien à la toute jeune Organisation des nations unies et annonce son intention d’évacuer le territoire. L’ONU propose un plan de partage inapplicable. Les Juifs acceptent le plan, les Arabes le refusent. Le 14 Mai 1948, les Anglais quittent la Palestine et le chef des Juifs David Ben Gourion proclame la naissance de l’État d’Israël. Les pays arabes voisins attaquent le nouvel État. La première guerre israélo-arabe (1948-1949) est gagnée à la surprise générale par les Israéliens. Ils agrandissent leur territoire et chassent des centaines de milliers de civils arabes de leurs demeures. Ces déplacés (les Palestiniens) s’entassent dans des camps de réfugiés où ils sont secourus par l’ONU.

Au centre, David Ben Gourion, en compagnie de généraux israéliens. Sans date. Collection particulière.

L’instabilité du Moyen-Orient, et notamment les fortes tensions interreligieuses entre Juifs et Arabes, n’est pas une réalité récente. La Grande Guerre et plus particulièrement encore la politique menée par Londres et Paris en sont une cause importante. Pourtant, et ce de manière paradoxale, le retrait des puissances britanniques et françaises au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ne fait qu’envenimer le problème. A la faveur d’une nouvelle séquence historique, la Guerre froide, le Proche et le Moyen-Orient se révèlent en effet une nouvelle fois un théâtre d’affrontements de première importance.

 

Chronologie indicative

1912-1913 : A la suite des guerres balkaniques, l’Empire Ottoman perd l’essentiel de ses possessions en Europe.

2 novembre 1914 : Les Ottomans rejoignent la Triple Alliance et s’allient à l’Empire allemand. La Russie leur déclare automatiquement la guerre, ouvrant de facto un nouveau front.

4 janvier 1915 : Très lourde défaite de la 3e armée Ottomane sur front du Caucase, face aux Russes.

24 avril 1915 : Arrestation et élimination de l’élite arménienne de Constantinople. Début du génocide arménien.

25 avril 1915 : Débarquement de l’Entente dans les Dardanelles.

16 mai 1916 : Accords Sykes-Picot.

30 octobre 1918 : Armisitice de Moudros. Défaite de l’Empire Ottoman.

3 mai 1920 : Début de la révolte irakienne contre la présence britannique.

10 août 1920 : Signature du traité de Sèvres entre l’Empire Ottoman et les Alliés.

23 août 1921 : Après avoir réprimé une révolte en Irak, les Britanniques placent sur le trône de Bagdad le roi Fayçal.

24 juillet 1923 : Signature du traité de Lausanne. Il revient sur les dispositions du traité de Sèvres, notamment sur la question des frontières.

29 octobre 1923 : Proclamation de la République de Turquie.

3 mars 1924 : Abolition en Turquie du Califat et proclamation d’une république laïque.

Eté 1925 : En Syrie, début de la révolte des Druzes (population dont la croyance s’apparente à une variante du chiisme). Il faut un an à l’armée française, alors considérée comme la meilleure du monde, pour la réprimer. Il est à noter que celle-ci s’emploie, à la même époque, à combattre le soulèvement d’Abd el Krim au Marcoc, pendant la guerre du Rif.

1928 : Fondation en Egypte de la Confrérie des Frères musulmans.

30 mai 1932 : fin du mandat britannique en Irak qui, du coup, devient indépendante même si la mainmise de Londres reste réelle. L’Irak sera le premier pays à entrer à la Société des Nations.

18 septembre 1932 : Création de l’Arabie Saoudite.

1er septembre 1939 : L’Allemagne attaque la Pologne. Début de la Seconde Guerre mondiale.

23 octobre – 3 novembre 1942 : bataille d’El Alamein.

27 janvier 1945 : Libération d’Auschwitz.

8 mai 1945 : Capitulation sans condition du IIIe Reich.

1er octobre 1946 : Verdict du procès de Nuremberg.

14 mai 1948 : Les Britanniques quittent la Palestine.