Le centenaire de la Grande Guerre en Bretagne : sur de nouvelles « initiatives d’en bas » de Plouha à Saint-Gilles en passant par Plémet

Dans une interview donnée en janvier 2013 au quotidien Libération, Antoine Prost, président du comité scientifique de la Mission du Centenaire, rappelait combien « la mémoire de 14-18 vient d’en bas ». Partant de ce constat, il concluait que « le centenaire de 1914 » serait, avant tout, « commémoré à la base, dans les villes, dans les villages »1. Au terme – ou presque... – de ces années vouées à la célébration du centenaire de la Grande Guerre en Bretagne, force est de constater que, bien plus que les grandes cérémonies nationales, c’est la foison d’initiatives locales qui a fait la réussite des commémorations.

Carte postale. Collection particulière.

En Envor a déjà rendu compte, depuis 2014, de certaines  de ces initiatives portées, selon les cas, par des associations, des municipalités ou des individus, de Bédée à Landerneau, de Quéménéven à Mordelles en passant par Châteaulin. A défaut de (re-)parler ici de Mordelles ou de Sarzeau2, qu’il nous soit permis d’évoquer trois publications dues aux travaux d’historiens locaux qui, sous des formes à la fois proches et différentes, permettent de rendre compte de l’intérêt de ces recherches.

Centrés respectivement sur Saint-Gilles (Ille-et-Vilaine), Plémet et Plouha (Côtes d’Armor), les trois ouvrages dont il est ici question ont pour point commun de s’intéresser avant tout aux poilus de chacune de ces communes morts durant la Grande Guerre3. Il est vrai qu’il s’agit de ceux qui sont les plus faciles – ou les moins difficiles... – à saisir, le monument aux morts – voire les monuments aux morts – fournissant une première liste que le site « Mémoire des hommes » et les fiches matricules permettent de compléter. L’on sait ainsi tout ou presque du parcours des poilus de ces trois communes rurales tués entre 1914 et 1918, la particularité des Plouhatins étant d’avoir, pour un certain nombre d’entre eux, servi dans la Marine : 68 des 176 morts de la Grande Guerre sont ici des marins, cinq au moins des fusiliers marins tués lors des combats sur le Front de l’Yser, à Dixmude entre autres4.

Les résultats des patientes recherches menées localement viennent, sans grande surprise – mais en fallait-il ? – confirmer ceux obtenus à d’autres échelles. A Plouha comme à Plémet, ce sont par exemple les années 1914 et 1915 qui sont les plus meurtrières. En revanche, dans le canton de La Chèze, l’on compte plus de morts en 1917 qu’en 1918, alors qu’à Saint-Gilles et Plouha – comme à l’échelle nationale –, la dernière année de la guerre est la troisième la plus meurtrière : l’on peine cependant à expliquer la particularité des communes du sud des Côtes-du-Nord. Il est en revanche partout évident que 1916, l’année de Verdun, est celle qui compte le moins de morts...   

Au-delà des parcours individuels et collectifs des morts de chacune des trois communes, ce sont les apports sur quelques points précis de ces études qu’il faut souligner. L’ouvrage d’André Grall sur Plémet consacre ainsi de nombreuses notices à certains des poilus qui ont survécu à la guerre : les photos issues de collections familiales, les lettres de quelques-uns d’entre eux permettent de dépasser le seul cas des morts pour la France. A Plouha, Yvon Ollivier-Henry propose de riches statistiques, particulièrement utiles dès lors qu’il s’agit, entre autres, de comparer des situations locales parfois très variables. Ici par exemple, plus de 23 % des décès sont dus à des maladies, dont un quart du fait de la grippe. Notons encore que deux familles plouhatines sont frappées par la mort de trois frères, une autre par celle de trois frères et beaux-frères. Mais l’on apprend aussi au détour d’une page qu’il y a trois fois plus de « morts pour la France » servant sur des navires de commerce coulés par l’ennemi que parmi les fusiliers marins de la commune... Les premiers n’ont pas eu le droit à la même reconnaissance mémorielle cependant.

L’on retrouverait la même finesse de certaines approches menées entre autres par Marie-Claire Gautier à Saint-Gilles. L’on suit ainsi Victor Rocher, cultivateur, mobilisé au 41e RI de Rennes, passé au 410e RI après avoir été blessé lors des combats de Neuville-Vitasse en octobre 1914, qui finit la guerre comme pilote : sa formation ne prend fin cependant que le 27 novembre 1918 ; il n’a pu combattre en avion donc. L’on apprend par ailleurs que 31 Saint-Gillois ont été capturés durant la guerre, dont quatre rien qu’en août 1914, à Rossignol ou lors des combats de Charleroi. 12 le sont lors de la seule année 1918 – plus du tiers donc –, pour la plupart en mai, signe que la question de la reddition ne se pose sans doute plus de la même manière à cette date pour les combattants ; signe aussi de l’évolution de la forme des combats, plus mobiles désormais, plus propices sans doute à la capture d’unités entières.

Carte postale. Collection particulière.

On le voit à travers ces quelques exemples : si une synthèse scientifique renouvelée de la Grande Guerre vue de Bretagne reste à écrire, elle ne pourra se faire désormais sans s’appuyer sur les résultats de ces nombreuses études locales portées par le Centenaire. Ce n’est pas le moindre des mérites de ces quatre années de commémorations.

Yann LAGADEC

 

 

 

 

 

 

1 http://www.liberation.fr/politiques/2013/01/25/la-memoire-de-14-18-vient-d-en-bas_876857

2 Rappelons cependant EVANNO, Yves-Marie, Sarzeau, une commune bretonne dans la Grande Guerre, Sarzeau, Mairie de Sarzeau, 2018 et LAGADEC, Yann (en collaboration avec NEDELLEC, Anne-Marie), Une paroisse dans la Grande Guerre. Mordelles, 1914-1922, Pabu, A l’Ombre des mots, 2018.

3 Saint-Gilles à la veille de la Grande Guerre. Le parcours de ses 400 poilus, Saint-Gilles, Association Saint-Gilles Histoire et patrimoine, 2017 ;  OLLIVIER-HENRY, Yvon, Plouha. Le livre des morts à la Grande Guerre, Plouha, 2015 ; GRALL, Xavier, Plémet. Guerre 14-18, Plémet, Section Patrimoine/Truite du Ridor, 2014.

4 Sur ce point, voir LAGADEC, Yann, Un fusilier marin breton à Dixmude. Le carnet de Lucien Richomme, 1914-1915, Pabu, A l’Ombre des mots, 2018.