Libération : Saint-Malo en exemple ?

Sans vouloir opposer des commémorations qui, rythme du calendrier oblige, n’ont structurellement pas la même force, force est néanmoins d’admettre que le 70e anniversaire de l’année 1944 n’a pas la même vigueur intellectuelle que le centenaire de la Première Guerre mondiale. Là où celui-ci se distingue par une foule d’initiatives culturelles diverses et généralement réussies (expositions à Saint-Malo et Montfort-sur-Meu, conférences, journées d’études et colloques, projets éditoriaux…), la commémoration de l’année 1944 fait figure de « parent pauvre », si l’on excepte l’excellent colloque tenu à l’université Rennes 2 au début du mois d’avril dernier.

Une vision archétypale et aseptisée de la Libération. Wikicommons.

Il serait tentant d’expliquer cet état de fait par le manque d’appétence du public pour la Seconde Guerre mondiale alors que l’on commémore le déclenchement du centenaire de la Première. Pourtant, un certain nombre d’indices montrent que 39-45 fait toujours recette. Ainsi, il a été frappant de voir comment l’affaire des pendues de Monterfil  a été relayée dans la presse à la suite d’un article de l’Agence France Presse : le petit village d’Ille-et-Vilaine a ainsi eu les honneurs de titres tels que Libération, L’Express ou encore 20 minutes.

A chaque fois, l’angle était le même : « nous allons faire des révélations au lecteur ». Bien entendu, l’histoire de Monterfil n’était pas très connue mais il est faux de dire que la question des tontes de femmes était jusqu’alors ignorée, y compris des chercheurs, à l’exception de la célèbre photo prise par Robert Cappa à Chartres en aout 1944. Faut-il rappeler que c’est en 1999 que Luc Capdevila publie aux Presses universitaires de Rennes son étude sur les Bretons au lendemain de l’Occupation, analyse qui accorde une place essentielle aux questions de genre et, particulièrement, aux tontes de femmes ?

Mais il est vrai que la complexité de cet été 1944 transparait rarement dans le programme des commémorations. La ville de Rennes en est d’ailleurs un bon exemple. Si un « geste symbolique en mémoire des centaines de déportés et prisonniers du convoi dit de Langeais » est prévu dans le programme officiel, c’est bien le cliché du bal populaire qui, en définitive, le 3 août, sur la place de la Mairie, l’a emporté.

La ville de Saint-Malo bombardée, à la Libération (carte postale). Collection particulière.

On pourra toujours arguer, et à raison d’ailleurs, qu’il est difficile de concilier rigidité des cérémoniaux protocolaires et pédagogie d’une période aussi complexe que celle de cet été 1944 où se joue à la fois la Libération d’une partie de la Bretagne – les poches de Lorient et Saint-Nazaire restent occupées jusqu’en mai 1945 – et le retour à la République. Pour répondre à cette exigence de transmission, la ville de Saint-Malo a choisi d’organiser le 18 août prochain avec la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Saint-Malo une journée d’études alliant témoignages des acteurs de cette période – l’excellent Pierre Demalvilain – et recherches permettant de mettre en perspectives ces journées d’août, tant du point de vue militaire – les communications d’Eric Peyle sur les attaques d’infanterie d’Alet et les bombardements de Cézembre – que politique – Jean-Luc Blaise et Michel Bourdais à propos de la presse malouine en 1944 – ou encore culturel – le siège de Saint-Malo vu par les ecclésiastiques.

Ce programme riche et varié est d’autant plus remarquable qu’il ne s’oppose nullement aux manifestations classiques de la Libération (cérémonies patriotiques, reconstitutions de militaria…). Il donne juste un peu de profondeur à une période qui, si l’on en reste à la superficialité des chewing-gums et des flonflons des bals populaires, ne peut être correctement saisie.

Erwan LE GALL