Jacques Pâris de Bollardière : le général qui a dit deux fois « non »

La caméra est posée dans la cour d’une splendide longère bretonne mais sur le petit écran apparaissent bientôt des photographies d’autres époques, portrait datant des années 1940, cliché figurant une revue de troupes et fugaces instantanés qui peinent à cacher le parfum si caractéristique de la Méditerranée. L’homme dont il s’agit et à qui est consacrée cette émission de télévision intitulée La Cause de l’autre est le général Jacques Pâris de Bollardière, incarnation même de la complexité d’une 1958 qui, en Algérie, s’enlise dans un conflit sans cesse plus dur1.

Le général Jacques Pâris de Bollardière, chez lui, dans la cour de sa longère. Collection particuière.

Si cet officier a, en ce 23 septembre 1972, les honneurs du petit écran, c’est qu’il vient de publier Bataille d’Alger. Bataille de l’homme, ouvrage qui revient sur son propre parcours pendant ce que l’on appelle encore pudiquement « les événements d’Algérie ». En soi, qu’un ancien combattant, aussi glorieux soit-il, couche sur le papier ses souvenirs de guerre n’a rien d’exceptionnel. Qu’une émission de télévision consacre en revanche près de 25 minutes à un livre est en revanche beaucoup plus rare. Mais Jacques Pâris de Bollardière n’est en ce début des années 1970 pas n’importe qui. Très engagé dans les combats pour l’environnement, la non-violence et contre l’arme nucléaire, on le retrouve aux côtés des paysans du Larzac et des opposants à la centrale de Plogoff. Il devient alors, en quelque sorte, une figure de la contre-culture.

Pourtant, rien ne destine ce fils d’officier né en 1907 à Châteaubriant à un tel destin. Catholique fervent, il poursuit la tradition de cette famille aristocratique en faisant sien le métier des armes au terme d’un parcours parfaitement classique : Prytanée militaire à La Flèche puis Saint-Cyr (promotion maréchal Gallieni), dont il sort en 1929. S’en suit un parcours ordinaire d’officier si ce n’est que la carrière éloigne Jacques Pâris de Bollardière des rives bretonnes : ses affectations le conduisent en effet en Corse puis en Algérie et  au Maroc. Affecté en février 1940 à la Première Demi-brigade de Légion étrangère, il reçoit ses galons de capitaine.

Cette année 1940 est néanmoins une véritable rupture pour lui car pour la première fois de sa vie il va dire : « non ». Rescapé de l’affaire de Narvik, il se trouve en Bretagne et assiste impuissant à la débâcle de l’armée française quand il  décide, avant même l’appel lancé par le général de Gaulle, de rejoindre Londres pour continuer le combat. Il s’engage par la suite au sein des Forces françaises libres. De tous les combats, il est même fait, suprême honneur, Compagnon de la Libération. Après la capitulation sans condition du Reich, il poursuit sa carrière d’officier d’active et prend, en 1946, le commandement du 1er bataillon de parachutistes SAS en partance pour l’Indochine. En 1957, il est le plus jeune général de l’armée française. Et c’est là que survient la rupture. Ayant combattu les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, il refuse d’employer la torture pendant la bataille d’Alger et dit une deuxième fois « non » en démissionnant de l’armée.

Le général en 1983, à Morlaix. Wikicommons.

L’écho est immense. Moins de 15 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un officier de carrière, saint-cyrien, véritable héros, quitte l’armée au nom des mêmes valeurs qui le poussent à rejoindre la France libre en 1940 : l’humanisme. Cette décision est non seulement très forte mais elle dit bien toute l’ambivalence des milieux de la Résistance au retour du général de Gaulle en 19582. En effet, à la manière d’un Hervé Nader3 mais pour des raisons fondamentalement différentes, Jacques Pâris de Bollardière devient non seulement un opposant au premier Président de la Ve République mais une figure politique originale, dans la mouvance de ces « cathos de gauche » qui pèseront sur le plan électoral à partir de la fin des années 1970.

Près de 15 ans après, dans le contexte d’une mémoire de la guerre d’Algérie qui est encore loin de s’apaiser, le propos du Compagnon de la Libération continue à diviser, notamment parmi les rangs des rapatriés qui ne supportent pas que l’on puisse attenter de la sorte à « l’honneur de l’armée ». On comprend donc pourquoi la télévision s’intéresse à cet officier au parcours si particulier. Treize ans plus tard, la question de la torture en Algérie est toute aussi brûlante et c’est encore le général de Bollardière qui est l’objet d’un reportage, diffusé cette fois-ci dans le journal de 20 heures de TF1 présenté, en ce 13 février 1985, par Bruno Masure4. L’image est alors en couleur mais le propos ne varie pas, toujours aussi incisif et militant. D’ailleurs, l’officier reçoit toujours les caméras chez lui, mais cette fois-ci au coin du feu. Une permanence de la mise en scène télévisuelle de la retraite qui n’est pas sans interroger.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 INA : RXF01014152.

2 Sur la question et pour de plus amples développements on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « Une nouvelle génération du feu ? Le présent algérien face aux mémoires des deux guerres mondiales », in LE GALL, Erwan et PRIGENT, François, C’était 1958 en Bretagne. Pour une histoire locale de la France, Rennes, Editions Goater, 2018, p. 352-376.

3 Sur la question se rapporter à COUANAULT, Emmanuel, « Hervé Nader entre Bretagne et Algérie. Retour sur les élections législatives de 1958 à Quimper », in LE GALL, Erwan et PRIGENT, François, C’était 1958 en Bretagne. Pour une histoire locale de la France, Rennes, Editions Goater, 2018, p. 212-234.

4 INA : CAA88002894.