Le New-York Times et les Bretons de Gourin

L’association Breizh Amerika, qui œuvre au rapprochement entre la péninsule armoricaine et les Etats-Unis, a déniché un intéressant article du New-York Times datant de 1967 et évoquant l’immigration bretonne dans la mégalopole de la côte Est. Bien entendu, ce dossier est globalement connu et l’on sait ainsi toute l’importance de la commune de Gourin, en Morbihan, dans le développement de cette impressionnante filière transatlantique de migration. Mais, le plus souvent, cette histoire est racontée vue de Bretagne. Et c’est précisément cet autre regard, provenant de l’autre côté de l’Atlantique et produit donc par des yeux américains, que nous propose cet article du New-York Times, ce qui rend bien entendu cette archive particulièrement intéressante.

Lower Manhattan, année 1960. Carte postale. Collection particulière.

Peu importe sur quelle rive de l’océan on se situe, les Etats-Unis sont toujours perçus comme un pays d’opportunité. C’est ce que rappelle l’exemple d’Albert Deniel cité par le prestigieux quotidien : « En France, je ne serais jamais arrivé à ouvrir un restaurant come celui-ci » explique le propriétaire de La Grillade, établissement situé à l’angle de la 9e avenue et de la 51e rue, à quelques blocks seulement de Central Park. Anna Daniel arrive aux Etats-Unis en 1914 et est présentée comme « typique des premiers immigrants ». Trouvant à s’employer pour un avocat new-yorkais, vraisemblablement pour du ménage, elle épouse ensuite un « chef » travaillant dans un « club privé ». Bien que veuve, elle n’en acquière pas moins un niveau de vie confortable puisque l’article stipule qu’elle est propriétaire d’une maison à Gourin en plus de son logement à Gotham city.

Un tel discours ne doit pas surprendre. Si ces Bretons émigrent aux Etats-Unis, c’est bien pour des raisons économiques. En d’autres termes, c’est la perspective d’une vie meilleure qui les conduit à traverser l’Atlantique. Une réalité à mettre en perspective avec le niveau de vie des campagnes bretonnes à la fin des années 1950… Ajoutons d’ailleurs que ce constat s’insère dans une grille de lecture ancienne, représentation qui associe la bannière étoilée à la fortune. C’est ainsi par exemple que quand les Etats-Unis sortent de leur isolationnisme au printemps 1917, la Dépêche de Brest se félicite de l’entrée en guerre du « pays des milliards ». Mais ce dont ne parle pas cet article du New-York Times, c’est bien entendu de tous les immigrants qui, pour quelque raison que ce soit, restent sur le trottoir et ne parviennent pas à accéder à leur rêve américain. En d’autres termes, c’est d’un discours à sens unique dont il s’agit ici.

A y regarder de plus près, cet article du New-York Times publié en 1967 apparaît des plus classiques, pour ne pas dire convenus. Le pays est une mosaïque et les Bretons ne forment jamais qu’une communauté parmi d’autres au sein de Gotham City, au même titre que les Irlandais ou  les Italiens. La maîtrise ou non de de l’anglais ne semble poser aucun problème au journaliste du célèbre quotidien, l’apprentissage n’étant qu’une question de temps, notamment pour les enfants qui bénéficient de l’aide de la… télévision. De ce point de vue, la situation contraste très largement avec la France où la diffusion de ce média est à l’époque beaucoup plus confidentielle. En réalité, ce que décrit le New-York Times ici, c’est l’American Dream et il serait intéressant de regarder si le discours produit dans ces quelques lignes varie fondamentalement de ce que l’on peut lire à propos d’autres communauté immigrées. L’évocation d’Ellis Island a de ce point de vue tout du discours parfaitement construit, du point de passage obligé pour ne pas dire du stéréotype. Si l’on devait leur trouver une spécificité à ce portrait des Bretons de New-York, celle-ci serait d’ailleurs probablement moins bretonne que française. En effet, à en croire la femme du conseiller municipal Robert Low, « ils ont un talent naturel pour la cuisine », propos qu’il est bien difficile de dissocier de l’appétence hexagonale bien connue pour la gastronomie

Park avenue, années 1960. Carte postale. Collection particulière.

Pour autant, au-delà des nombreux points communs qui semblent émerger à la faveur de cet article entre les regards français et américains portés sur l’immigration des Bretons outre-Atlantique, il nous faut souligner une différence fondamentale. En effet, la question que posent traditionnellement les médias français lorsqu’ils s’intéressent à cette histoire est celle du retour en Bretagne, interrogation qui installe automatiquement l’immigration comme une période transitoire, temporaire. Certes, on connaît de nombreux cas de personnes qui, effectivement, sont revenus s’installer dans la péninsule armoricaine après leur séjour Américain (on pense à Youenn Gwernig ou encore à Janet, fille d’un couple de Bretons de Gourin émigrés à New-York). Mais du point de vue des Etats-Unis, c’est strictement la question inverse qui se pose, celle d’un établissement définitif au pays de l’Oncle Sam, comme si, au final, seul celui-ci était réellement vivable. Or, à l’heure où les mesures d’immigrations paraissent se durcir,  tout du moins à en croire ce même article du New-York Times, il n’est pas évident que la réponse soit aussi évidente qu’il n’y parait de prime abord.

Erwan LE GALL