1884 : la catastrophe du Boël

Situé au sud-ouest de Rennes, entre Guichen et Bruz, le Boël est une charmante section de Vilaine qui rappelle que, décidément, ce cours d’eau porte bien mal son nom. D’ailleurs, les lieux sont tellement agréables qu’on ne s’étonne pas qu’ils aient pu inspirer des artistes comme Yvonne Jean-Haffen. En 1878, le géographe Adolphe Joanne écrit à propos de la Vilaine que « au-dessous de Pont-Réan, au confluent de la Seiche, sa vallée devient une espèce de défilé sinueux entre des talus à pic, des roches, des collines boisées »1. L’été, cette gorge encaissée est un havre de fraîcheur et les  Rennais en quête d’air pur et de campagne viennent y fuir la torpeur de la ville et contempler le magnifique moulin posé sur l’écluse qui barre la rivière. Pourtant, bien peu sont parmi ces citadins ceux qui se rappellent que le Boël est le théâtre d’une atroce catastrophe en juin 1884.

Le moulin du Boël peint par Yvonne Jean-Haffen. Université Rennes 1.

Aujourd’hui champêtre, les lieux ne l’ont pas toujours été et sont, à la fin du XIXe siècle, indissociables des carriers qui viennent y travailler pour extraire des moëllons rocheux, à même la falaise. Dans les environs de Pont-Réan, c’est une Bretagne des sous-sols qui fait vivre les hommes entre mines argentifères et extraction donc de ce schiste rouge qui fait la renommée du secteur et qu’arborent du reste fièrement les églises des environs. Loin du cours d’eau paisible qu’affectionnent les promeneurs du XXIe siècle, la Vilaine est alors un axe de transport permettant d’acheminer par bateau la roche extraite par les carriers. A dire vrai, le Boël n’a à cette époque rien d’un havre de paix. Au contraire, les parages peuvent se révéler redoutablement dangereux. Les crues sont fréquentes et les habitants sont, encore aujourd’hui, habitués à voir le cours d’eau sortir de son lit et à faire face à d’importantes inondations. Tel est par exemple le cas en 1879. Le débit de la rivière devient alors d’autant plus important que la Vilaine, dans ces parages de Pont-Réan, est encaissée.

Pourtant, en ce 6 juin 1884, c’est un large soleil qui baigne le Boël et l’enveloppe dans une chaleur de plomb. L’atmosphère est lourde, presque suffocante. 7 carriers prennent une pause bien méritée pour reprendre des forces et se désaltérer quand, en l’espace de quelques secondes, la terre se disloque. Juste derrière le moulin situé en contre-bas, adjacent à l’écluse, d’immenses blocs de roche se détachent de la falaise dans un bruit aussi assourdissant – semblable à une mitrailleuse écrira un journaliste rennais2 – qu’imprévisible. Aussitôt leurs esprits repris, les quelques individus qui se trouvaient dans les parages se ruent vers le gigantesque éboulement à la recherche de survivants, bientôt rejoints par d’autres carriers des environs, mais ne peuvent que constater le terrible bilan : 8 morts, cadavres effroyablement broyés par des tonnes de pierres.

L’émoi provoqué par ce que l’on ne tarde pas à appeler « la catastrophe du Boël » est considérable. Le lendemain du drame, le 7 juin 1884, l’église de Pont-Réan sonne le glas et enterre les 8 malheureux parmi lesquels Joseph Cherrel et son fils, tous deux carriers, tout comme Jean-Marie Robert, Jules Josset, Alexis Grégoire et un dénommé Marchand. Quelques jours plus tard, les rédacteurs des différents journaux de Rennes s’unissent pour vendre « au profit des victimes de la catastrophe du Boël » un numéro unique, recueil de poèmes avec un récit de la catastrophe et des gravures. Préfigurant d’une certaine manière le charity buisiness de la fin du XXe siècle, cet objet éditorial unique dit autant le poids du fait divers dans la société bretonne de la fin du XIXe siècle que l’émotion suscitée par ce drame3.

Les secours se précipitent pour l’éboulement. Gravure publiée par la presse rennaise au profit des victimes. Gallica / Bibliothèque nationale de France.

Celle-ci, du reste, n’est pas sans interroger. En effet, l’instabilité des roches du Boël n’a malheureusement rien d’exceptionnel et, 7 ans plus tard, en juin 1891, la région est une nouvelle fois endeuillée par un autre épouvantable accident : six ouvriers sont surpris par la chute d’un bloc de 30 tonnes et meurent écrasés. Là encore, c’est l’infiltration des eaux pluviales qui serait en cause mais pourtant, quoi que relayé par la presse, y compris nationale, la catastrophe semble moins frapper les consciences. Bien entendu, il est difficile d’expliquer cet état de fait. Pour autant, on remarquera qu’en 1884, contrairement à 1891, toutes les catégories sociales sont touchées car aux côtés des carriers meurent deux enfants : le fils de l’éclusier et le beau-fils du propriétaire de la carrière. Chacun peut donc s’identifier aux familles endeuillées. De surcroît, incarnations de l’innocence outragée, les enfants sont sans doute plus à même que les adultes de toucher les esprits.

Erwan LE GALL

 

 

1 JOANNE, Adolphe, Géographie d’Ille-et-Vilaine, Paris, Hachette, 1878, p. 6.

2 BAUME, Louis, « La carrière du Boël », Aux Victimes du Boël. La Presse Rennaise. Numéro unique, résultat de la collaboration des rédacteurs des journaux de Rennes. Vendu au profit des victimes de la Catastrophe du Boël, p. 2.

3Ibid.