Gustave de Kerguézec : jouer contre son camp ?

Loin de nous bien entendu la volonté de passer sous silence le jeu des stratifications sociales et de nier les logiques de reproduction qui peuvent s’observer d’une génération à une autre. Pour autant, il faut également savoir, de temps à autre,  s’extraire du structuralisme comme de toute autre grille de lecture, ce schéma interprétatif pouvant être confronté à des cas exceptionnels qui,  justement, invitent à une utilisation souple, nuancée, de ces outils. Tel est le cas de Gustave de Kerguézec, figure parlementaire quelque peu oubliée aujourd’hui, mais dont le parcours est riche d’enseignements.

Carte postale. Collection particulière.

Né à Tréguier, dans les Côtes-du-Nord, dans les dernières années du Second Empire, Gustave de Kerguézec a, a priori, tout pour compter parmi ces hobereaux qui tentent, par leur engagement politique, de conserver à tout prix leur position dominante. Propriétaire terrien, il descend d’une grande famille d’épée puisqu’un de ses aïeux est président de l’ordre de la noblesse aux Etats de Bretagne, en 1762. Les quartiers de noblesse de la famille sont d’ailleurs de très ancienne extraction puisqu’ils remontent au tout début du XVe siècle ! Mais, c’est dans le camp opposé, celui des « blocards », que s’engage, Gustave de Kerguézec, comme pour mieux faire mentir le déterminisme sociologique.

Débutant sa carrière au Conseil général des Côtes-du-Nord, il est élu en 1906 député de la circonscription de Tréguier, ville dont il devient maire en 1919. Jusque-là rien de bien remarquable si ce n’est que Gustave de Kerguézec est à l’origine d’un projet particulièrement controversé : l’érection d’une statue en l’honneur d’Ernest Renan à Tréguier. Or, un tel combat n’a rien de neutre puisque célébrer cet immense intellectuel est, à l’époque, aller à l’encontre de l’Eglise et de ses nombreux relais. C’est d’ailleurs la marque de fabrique de Gustave de Kerguézec que de s’engager contre son milieu d’origine : fervent républicain, il porte les couleurs radicales, voire radicales-socialistes, et réclame même à la Chambre la suppression totale des titres de noblesse ! Candidat aux élections cantonales en 1907, il se félicite sur sa profession de foi d’avoir fait fermer à Tréguier 4 couvents ! Il est vrai qu’il n’est pas sur ce point rendu à son coup d’essai et, d’ailleurs, il n’hésite pas à afficher sa proximité avec Emile Combes, le pape des anticléricaux.

Mobilisé en tant que lieutenant au 78e régiment d’infanterie territoriale pendant la Grande Guerre, il a la douleur de perdre un de ses neveux pendant le conflit, le sergent Jéhan de Kerguézec, mort pour la France sous l’uniforme du 47e régiment d’infanterie le 9 mai 1915, lors des terribles offensives que mène le 10e corps d’armée en Artois. En cela, la famille de Kerguézec est conforme au comportement de cette noblesse qui, par tradition et habitus des armes, n’hésite pas à se jeter à corps perdu dans l’Union sacrée et la Grande Guerre, et dans le cas présent au nom de la République. Est-ce ce décès qui incite Gustave de Kerguézec à quitter les tranchées ? Toujours est-il qu’il retrouve à partir de 1916 les bancs de l’Assemblée nationale et qu’il se distingue, encore une fois, pas certaines prises de positions qui ne passent pas inaperçues. Spécialisé dans les questions maritimes, il n’hésite pas à interpeller le gouvernement sur la conduite de la guerre sur mer ou sur la gestion de l’épidémie de grippe espagnole dans les dépôts des équipages de la flotte.

Carte postale. Collection particulière.

Aristocrate mais passionnément républicain, Gustave de Kergézec est avant tout un professionnel de la politique qui, dès son élection à l’Assemblée nationale, partage son temps entre la Bretagne et la capitale. Mais, détail intéressant, s’il sert au début des années 1910 au 247e régiment d’infanterie, une unité tenant garnison à Saint-Malo, c’est bien à Paris qu’il déclare résider. Ceci ne l’empêche toutefois pas de poursuivre sa brillante carrière politique après la Grande Guerre, toujours dans son fief : élu maire de Tréguier, il devient ensuite sénateur. Président de la commission de la Marine, il se distingue là encore par quelques coups d’éclats, comme lorsqu’il accuse le ministre de la Marine d’être responsable de la perte du dirigeable Dixmude, en 1923. De là à considérer que ses électeurs sont ses vassaux, il y a là un pas qu’il est difficile de franchir même si, à l’évidence, sa position de notabilité n’est pas sans expliquer la longévité de ce parlementaire qui se retire de la vie publique en 1939.

Erwan LE GALL