Une carrière politique explosive : Albert Louppe

Pourtant relégué en pages intérieures, la nécrologie que publie le 6 juillet 1927 la Dépêche de Brest dit bien le choc qu’a pu constituer le décès, à l’âge respectable de 71 ans, d’Albert Louppe. Pour le quotidien de la famille Coudurier, il s’agit « d’un deuil pour le Finistère ». Il est vrai que la carrière politique du président du Conseil général de ce département est telle qu’on imagine aisément l’impact d’une telle nouvelle. Pour autant, rien ne prédestinait ce Picard à un tel destin.

Quimerch: le fief électoral d'Albert Louppe. Carte postale. Collection particulière.

Albert Louppe naît en 1856 à Guny, petit village de l’Aisne, dans un milieu modeste. Son père est en effet « fabricant de chanvre » et sa mère ménagère1. Mais, élève particulièrement doué, il effectue de brillantes études, d’abord à Soissons puis au collège Sainte-Barbe à Paris, et c’est ainsi qu’il va découvrir la Bretagne. En effet, tout juste sorti de l’école Polytechnique, il débute une carrière d’ingénieur et est affecté en 1883 à Brest, à la poudrerie du Moulin-Blanc, après avoir officié pendant 5 ans à Sevran. C’est là qu’il débute, en devenant conseiller municipal de Guipavas, une carrière politique qui est indissociable de sa vie professionnelle.

Prenant la direction de la poudrerie de Pont-de-Buis en juin 1886, Albert Louppe décide en effet de donner une nouvelle orientation à ses ambitions électorales en s’implantant à Quimerch, dont il devient maire en 1892. C’est le début d’une formidable ascension qui le voit cumuler les mandats électifs : conseiller général du canton du Faou en 1901, il accède à la présidence de cette assemblée en 1912. En 1914, il remporte dans la circonscription de Châteaulin les élections législatives et siège à l’Assemblée nationale pendant toute la Première Guerre mondiale. En 1921, il quitte la chambre basse pour le Palais du Luxembourg.

Il est à noter que rendue possible par son parcours professionnelle, cette carrière politique aurait également pu s’interrompre pour raisons professionnelles. Devenu directeur de la poudrerie de Pont-de-Buis, il s’oppose violemment et publiquement à Léopold Maissin qui lui succède au Moulin-Blanc, et l’accuse d’un. En jeu, des questions de malfaçons dans le « coton-poudre » qui entre dans la composition de la fameuse poudre B, celle-là même qui est responsable de l’explosion à Toulon du cuirassé Liberté. On sait les conséquences politiques au plan nationale de cette catastrophe, par l’intermédiaire du capitaine de vaisseau Louis Jaurès, commandant du Liberté et frère du grand tribun socialiste, mais dans le Finistère, d’où sont originaires un nombre important de victimes, l’écho est également très important :

« Il y a entre les deux ingénieurs Maissin et Louppe, qui sont l’un et l’autre d’une intelligence remarquable, une de ces haines vigoureuses et tenaces qui, depuis vingt ans, s’est manifestée à tout instant et sur tous les terrains. M. Louppe est maire de Quimerc’h et conseiller général de Le Faou (sic), où se trouve l’usine de Pont-de-Buis ; M. Maissin, maire de Relecq-Kerhuon, est conseiller général de Landerneau et a, comme par hasard, le Moulin-Blanc sur ses terres électorales. Les ouvriers de l’un sont donc les électeurs de l’autre, et chacun, en tant  qu’élu, s’applique à critiquer l’administration de l’autre […]. »2

Pour L’Ouest-Eclair, cette affaire dite des poudres est telle qu’elle « prend les proportions d’un scandale comme nous n’en avions plus connu depuis le Panama ». Pour autant, elle ne parvient pas à interrompre le parcours du Picard décidément solidement implanté en Bretagne.

Homme de gauche et soutien de Georges Clemenceau, Albert Louppe est un républicain exigeant. Lors de la campagne électorale des élections législatives de 1914, il n’hésite pas à affirmer sur sa profession de foi : « J’ai toujours été partisan d’une République nettement réformatrice, imbue des idées de progrès, de justice sociale et d’humanité ». Rappelant son « adhésion aux lois sociales qui ont été votées », il rappelle que l’école publique a « toutes [ses] sympathies ». Mais, prudent face à des questions dont il sait bien qu’elles opèrent une véritable fracture de l’opinion, il s’empresse de préciser qu’il a « toujours été respectueux de toutes les opinions sincères, de la liberté de conscience, de la liberté de penser, de la liberté du culte et de l’enseignement », manière de ne pas s’aliéner une part trop importante de l’électorat et d’apparaître aussi consensuel que possible.

Carte postale. Collection particulière.

Ce souci de la mesure, manière de ne brusquer personne, pourrait faire craindre un bilan des plus modestes en termes de réalisations. Il n’en est rien. Conscient des handicaps du territoire sur lequel il exerce ses différents mandats, il se mue en bâtisseur d’infrastructures, notamment routières. C’est d’ailleurs pour cela que le pont enjambant l’Elorn et reliant Plougastel au Relec-Kerhuon est nommé d’après-lui, en 1930.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 Arch. nat. : LH, 19800035/0248/33009, acte de naissance.

2 « Les directeurs de poudreries qui font tout sauf de la bonne poudre », L’Ouest-Eclair, 13e année, n°4666, 2 novembre 1911, p. 1.