Paul Maulion, une carrière politique surprenante

Paul Maulion est une des figures méconnues du monde politique breton de l’entre-deux-guerres. Député puis sénateur du Morbihan, l’homme n’a de cesse de surprendre par ses choix. Durant près de trois décennies, le radical suit un parcours tortueux qui le mène ainsi à siéger au Conseil national de Vichy, cinq ans après avoir soutenu le Front populaire…

Le canton de Mauron, point de départ de l'itinéraire politique de Paul Maulion.

Paul Maulion naît le 1er juillet 1875 à Poitiers. Fils d’avocat, il découvre la Bretagne lorsque son père rejoint la Cour d’appel de Rennes dont il sera président durant de nombreuses années1. Suivant la voie familiale, le jeune homme décide d’étudier le droit et devient avocat en Ille-et-Vilaine. Mais les plaidoiries ne lui suffisent pas et, à l’âge de 35 ans, il décide d’entamer parallèlement une carrière politique, ce qui n’est toutefois pas très original tant les hommes de loi sont nombreux parmi les élus. Républicain convaincu, proche des radicaux, il choisit de se présenter aux élections cantonales de l’été 1910. Il fait campagne dans le canton de Mauron, à la frontière du Morbihan et de l’Ille-et-Vilaine, territoire républicain esseulé au sein d’une circonscription farouchement acquise aux monarchistes2. Assimilé à un étranger qui ne sait pas ce « ce qui se passe chez [eux]», Paul Maulion doit essuyer de vives critiques3. Rien n’entame cependant la détermination de l’avocat qui continue d’aller à la rencontre des électeurs. Les urnes lui donnent d’ailleurs raison en lui offrant un siège au Conseil général du Morbihan.

Paul Maulion souhaite profiter de cette dynamique et concourir aux élections législatives de 1914. Il évite la circonscription de Ploërmel, promise au conservateur Josselin de Rohan, pour se présenter quelques kilomètres plus loin, à Pontivy. Les résultats sonnent comme une terrible désillusion : 18 voix seulement le séparent de son adversaire conservateur, Arthur Espivent de la Villesboisnet. Déçu, il lance une procédure d’invalidation du scrutin mais cette dernière est suspendue en raison de la déclaration de guerre. Mobilisé4, il renonce finalement à son recours le 14 janvier 1915, estimant qu’il doit « s’inspir[er] des sentiments patriotiques et de la volonté d’union qui animent tous les Français »5. Néanmoins, le simple fait qu’il doive justifier une telle décision semble bien dire combien l’Union sacrée est en réalité une façade…

A la fin du conflit, Paul Maulion reprend son ascension politique. En novembre 1919, il se présente, aux côtés d’Alphonse Rio, sur la liste d’union républicaine. Elu député du Morbihan, il conquiert dans la foulée la mairie de Mauron. Mais son expérience au Palais Bourbon tourne court puisqu’il n’est pas réélu en 1924. Là encore, ce n’est pas un cas unique puisque nombreux sont les anciens combattants, parfois illustres, à ne pas être renouvelés dans leurs fonctions parlementaires. Dans sa circonscription, il fait d’ailleurs l’objet de nombreuses crispations. Au printemps 1936, alors que le Front populaire séduit de plus en plus les électeurs6, ses adversaires l’accusent d’appartenir aux « radicaux extrémistes » qui,

« non contents de s’unir aux agents des Soviets pour combattre les partisans de l’ordre et de la liberté, ont adhéré au front laïque, groupement dirigé par les loges maçonniques, pour obtenir l’expulsion des religieux, la suppression de l’ambassade de France au Vatican et l’abolition de la liberté d’enseignement. »7

Devenu sénateur en 1933, il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Encore une fois, Paul Maulion surprend en se positionnant là où personne ne l’attendait. A l’image du socialiste Louis L’Hévéder, il accepte de siéger au conseil national de Vichy8. Peut-être peut-on y voir une énième preuve du déboussolèrent complet qui s’empare de la population française à la suite de la défaite éclair de juin 1940 ? Il n’en demeure pas moins que cette trajectoire étonne, surtout quand on veut bien se rappeler des attaques dont Paul Maulion est l’objet en 1936.

Carte postale. Archives départementales du Morbihan: 2 W 15797.

Ce revirement laisse d’ailleurs dubitatif un certain nombre d’électeurs morbihannais qui, pour certains, le lui font savoir. Un « groupe de Français », originaire de Vannes, lui adresse le 12 juin 1941 une lettre explicitement menaçante : « ce n’est pas pour faire ce métier que nous vous avions élus et le jour n’est pas loin où vous nous rendrez des comptes »9. Ce groupe ne pensait certainement pas si bien dire. A la Libération, Paul Maulion voit les militants radicaux lui tourner le dos. Il quitte alors définitivement la politique. Et pour cause, l’avocat décède quelques mois plus tard, le 28 janvier 1946, à l’âge de 70 ans.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 « Mort du président Maulion », Le Courrier de Pontivy, 16 juillet 1916, p. 4.

2 Sur ce point voir SIEGFRIED, André, Tableau politique de la France de l'Ouest, Paris, A. Colin, 1913.

3 « L’étranger Maulion », Le Courrier breton, 10 juillet 1910, p. 2.

4 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 1 R 1824, matricule n° 1892.

5 « Validation de l’élection de Pontivy », Le Morbihannais, 22 janvier 1915, p. 1.

6 Paul Maulion soutient alors l’avocat parisien Etienne Nouveau qui se présente dans la circonscription de Ploërmel en refusant l’étiquette « Front populaire », véritable repoussoir électoral. Sur ce point on se permettra de renvoyer à EVANNO, Yves-Marie, « Le Morbihan contre le Front populaire ? », in LE GALL, Erwan et PRIGENT, François (dir.), C'était 1936. Le Front populaire vu de Bretagne, Rennes, Editions Goater, 2016, p. 78-101.

7 « Le sectarisme du front rouge », Le Ploërmelais, 12 avril 1936, p. 1.

8 LEROUX, Roger, Le Morbihan en guerre (1939-1945), Mayenne, ERO, 1977, p. 48.

9 Archives départementales du Morbihan, 2 W 15797, carte postale à l’attention de Maulion et L’Hévéder, 15 juin 1941.